« Je m’étonne de l’incrédulité de ceux à
qui l’on ne peut persuader que ce qu’on raconte de l’apparition des démons soit
véritable. Les raisons qu’ils amènent sont si faibles qu’elles ne méritent
presque point de réponse, puisqu’elles se réfutent assez d’elles-mêmes. Tout ce
qu’ils allèguent pour la preuve de leur dire est qu’ils rapportent ces visions
ou aux sens qui sont déçus et trompés, ou à la fausse imagination, ou aux
atomes. Telles personnes sont des athées et des épicuriens qui veulent que tout
arrive à l’aventure, et par conséquent, qu’il n’y ait ni bon ni mauvais esprit.
Mais nous qui sommes enseignés en une meilleure école et qui savons, par le
témoignage que les Saintes Écritures en rendent, que les bons et les mauvais
anges apparaissent aux hommes selon qu’il plaît à Dieu, nous dirons que tels
esprits se peuvent former un corps. Les bons anges, comme purs et nets de toute
matière terrestre, en prennent des aériens, purs et simples, qu’ils font
mouvoir par la célérité de leur flamme céleste. Et les mauvais anges, ou
démons, comme élémentaires et abaissés jusqu’à la terre, prennent des corps
composés de ce que plus ils désirent. Tantôt ils s’en forment d’une vapeur
terrestre congelée par la froidure de l’air, et maintenant de feu, ou d’air et
de feu tout ensemble, mais le plus souvent, des vapeurs froides et humides qui
ne durent qu’autant qu’il leur plaît et qui se résolvent aussitôt en leur
élément. Quelquefois aussi, ils se mettent dans les charognes des morts qu’ils
font mouvoir et marcher, leur influant pour un temps une espèce de propriété et
d’agilité. Les exemples en sont si évidents et en si grand nombre que qui les
voudrait nier nierait la clarté du jour. Et particulièrement celui que je veux
maintenant rapporter en cette histoire, arrivée depuis quatre ou cinq ans.
En l’une des meilleures villes de France, arrosée
de deux beaux fleuves, de la Saône et du Rhône, il y avait un lieutenant du
chevalier du guet nommé La Jaquière. Suivant le devoir de sa charge, il allait
la nuit par la ville pour empêcher les meurtres, voleries et autres insolences
et méchancetés qui ne sont que trop en usage aux bonnes villes. Mais avec cela,
il se dispensait lui-même quelquefois à visiter les garces quand il en savait
quelque belle, si bien qu’il était grandement blâmé de ce vice. Un soir bien
tard, entre onze heures et minuit, comme il se voulait retirer chez lui, il
tint ce discours à cinq de ses compagnons :
« Je ne sais mes amis, dit-il, de quelle viande
j’ai mangé. Tant y a que je me sens si échauffé que, si maintenant je
rencontrais le diable, il n’échapperait jamais de mes mains que premièrement je
n’en eusse fait à ma volonté. »
Ô jugement incomparable de Dieu ! À peine
a-t-il achevé de proférer ces paroles qu’il aperçoit en une rue, qui est proche
du pont de Saône, une damoiselle bien vêtue accompagnée d’un petit laquais qui
portait une lanterne. Elle marchait à grande hâte et il semblait à la voir
qu’elle n’avait pas envie de séjourner guère par les rues. La Jaquière,
émerveillé de voir une damoiselle si bien parée aller de nuit avec une si
faible compagnie, doubla le pas avec ses compagnons et, l’ayant atteinte, il la
salua. Elle, faisant une grande révérence, ôta son masque et le salua
pareillement. Si La Jaquière avait été émerveillé de rencontrer une personne de
ce sexe si bien couverte à une heure si indue, croyez qu’il fut encore bien
étonné de voir tant de grâce et de beauté luire en son visage. Les doux regards
qu’elle lui avait jetés en le saluant l’allumèrent aussitôt d’un désir
amoureux, de sorte qu’attiré par cette douce amorce, il s’approcha de plus près
d’elle et lui tint ce discours :
« Vraiment, madamoiselle, je suis fort ébahi de
ce que vous allez par la ville si tard. N’avez-vous pas peur d’y recevoir
quelque déplaisir ? Je vous accompagnerai, s’il vous plaît, jusqu’à votre
logis. Je serais bien marri si une telle beauté recevait quelque affront. »
Ce disant, il la prit sous les bras sans
qu’elle le refusât, au contraire, elle lui répondit en ces termes :
« Je vous remercie, monsieur, de votre
courtoisie ; il n’y aura jour de ma vie que je ne me publie votre obligée. Mais
pour répondre à la demande que vous me faites, pourquoi je suis si tard par les
rues, vous devez savoir que j’ai soupé ce soir chez une de mes parentes, et
maintenant je me retire à mon logis, encore qu’il soit si tard.
– Si j’eusse été à votre place, dit La
Jaquière, j’eusse mieux aimé passer le reste de la nuit là où vous avez soupé
que non pas m’exposer au hasard de quelque mauvaise rencontre.
– Je l’aurais bien fait, repart-elle, mais la
nécessité me contraignait à faire autrement. »
Achevant ce discours, elle tira un grand soupir
du profond de son cœur.
« Quelle nécessité, poursuit le lieutenant du
guet, et qui est-ce qui peut contraindre une telle beauté capable de réduire en
servitude tout le monde ?
– Mon mari, dit-elle, qui est le plus rude et
le plus mauvais qu’on puisse trouver. »
La Jaquière, se voyant en si beau train pour
lui offrir son service, poursuivit encore son propos en cette sorte :
« Est-il possible, dit-il, madamoiselle, qu’il
y ait un mari si barbare et si dénaturé, qu’étant possesseur d’une si rare
chose, il la puisse indignement traiter ? Si je le connaissais, je lui en
dirais particulièrement ce qu’il m’en semble.
– Vraiment, dit cette damoiselle, on le lui a
assez remontré ; il est obstiné en sa malice. Pour le présent, il est allé aux
champs, ou il a feint d’y aller. S’il ne me trouvait au logis, il y aurait bien
du bruit. Sa jalousie est si grande qu’il m’assommerait de coups. Il me tient
en telle captivité que je n’ose presque parler à personne.
– Madamoiselle, poursuit La Jaquière, par
aventure, vous ne savez pas qui je suis. Je puis faire plaisir et service à une
infinité de personnes en ma charge, qui est de veiller sur les mauvaises
actions des hommes. Assurez-vous que si votre mari continue à vous traiter si
indignement, j’aurai moyen de vous en venger et de le rendre sage. »
Elle le remercia de sa bonne volonté et lui
promit de l’en récompenser en temps et lieu. Ils poursuivirent ce discours et
eurent plusieurs autres propos que La Jaquière faisait toujours tomber sur
l’amour, sans qu’elle fît semblant d’en être mal contente. Cela poussait notre
homme à poursuivre ses brisées avec une ardeur excessive, car il en était déjà
follement passionné. Or, ils avaient loisir de discourir tout à leur aise,
parce que le quartier où cette damoiselle s’allait retirer était vers
Pierre-Ancise, bien éloigné du lieu où ce lieutenant du guet l’avait
rencontrée.
Cependant qu’ils sont en termes où La Jaquière
s’efforce de témoigner à cette damoiselle l’amour qu’il lui porte, tant par
paroles que par petits attouchements, il congédie trois de ceux qui
l’accompagnaient, et en retient deux avec lui, qui étaient de ses plus intimes
amis, et arrive avec eux et avec cette femme vers Pierre-Ancise, à la porte
d’une maison fort écartée. « C’est ici ma demeure », dit-elle, et à l’instant,
le petit laquais qui portait la lanterne tire une clef qu’il avait à sa
pochette et ouvre la porte. Cette maison était fort basse. Il n’y avait que
deux étages contenant chacun deux membres, et encore les deux plus hauts ne
servaient qu’à tenir du bois et autres choses semblables. Les deux d’en bas
étaient une petite salle et une garde-robe. La salle était assez bien
accommodée. Il y avait un lit de taffetas jaune et un pavillon de même étoffe,
et la tapisserie était de serge jaune. C’était au mois de juillet, néanmoins le
temps était un peu froid à cause d’une bise qui s’était levée. Cette damoiselle
commanda au laquais d’allumer un fagot. Tandis qu’il obéit à son commandement,
La Jaquière s’assied à un coin de la salle dans une chaise, et elle en une
autre. Le désir qu’il avait d’éteindre le feu qui le consumait fit qu’il lui
découvrit entièrement son amour et la conjura d’avoir pitié de son mal, lui
promettant toutes sortes de services, pourvu qu’elle lui octroyât la
courtoisie. Elle faisait semblant de le refuser, opposant l’honneur pour sa
défense, l’infidélité des hommes, qui est si grande au siècle où nous sommes,
et leur peu de discrétion qui publie aussitôt une faveur qu’ils ont reçue. Cet
amoureux fait des serments horribles et dit que jamais elle n’aura sujet de se
plaindre pour son regard, que plutôt il perdrait mille vies que de la
déshonorer et qu’il est prêt de s’opposer pour son service à toutes sortes
d’occasions. Enfin, après beaucoup de propos tenus d’une part et d’autre, elle
consent de lui accorder sa demande, à la charge qu’il se ressouvienne de sa
promesse et de ses serments. La Jaquière les lui confirme par d’autres, et au
même instant, ils entrent tous deux dans la garde-robe où il y avait un petit
lit de pareille étoffe que les autres, et là, ils prennent leurs déduits
ensemble. Notre homme, ayant reçu l’accomplissement de ses désirs, commença de
la caresser et lui protester de nouveau que jamais il n’oublierait une telle
faveur, et que désormais elle pouvait disposer de lui et de ses biens comme des
siens propres.
« Toutefois, dit-il, madamoiselle, bien que je
vous sois si redevable, vous m’obligeriez encore davantage si vous me vouliez
accorder une autre faveur.
- Et de quoi, répond-elle, me sauriez-vous
requérir que je ne vous octroie, puisque je vous ai déjà été si libérale de ce
que j’ai plus cher au monde ?
– Vous devez savoir madamoiselle, repart La
Jaquière, que je suis venu céans en compagnie de deux des plus grands amis que
j’aie au monde. Nous n’avons rien de propre, tout est commun parmi nous. Si je
ne leur faisais part de ma bonne fortune, par aventure cela serait cause de
rompre le lien d’amitié qui nous étreint si fermement, et par même moyen, ils
pourraient publier nos amours. Je vous supplie donc que la même courtoisie que
vous m’avez octroyée ne leur soit point refusée. Jamais nous n’oublierons une
telle faveur et vous pourrez vous vanter désormais d’avoir trois hommes à votre
commandement qui ne sont qu’un et qui ne respireront que votre obéissance.
– Hélas ! que je suis malheureuse ! répond la
damoiselle. Je pensais avoir fait acquisition d’un ami qui voulût tenir chère
la faveur qu’il avait reçue de moi, mais je vois maintenant qu’il ne visait à
d’autre dessein qu’à tirer de moi ce qu’il désirait, puisqu’il le divise de la
sorte. Est-ce ici la récompense que j’en reçois ? Estimez-vous que je sois une
louve pour m’exposer à l’abandon de tant de personnes ? Je n’eusse jamais cru
cela de vous qui avez reçu de moi ce qu’homme vivant, hormis mon mari, n’a
jamais pu recevoir. Je vous prie, ne me parlez plus de ces choses, autrement,
je me donnerais la mort de ma propre main. »
Ce disant, elle se lève et fait semblant de
s’en vouloir sortir hors de la garde-robe, mais La Jaquière la retient, et
puis, avec les plus belles paroles qu’il peut proférer, la supplie d’apaiser sa
colère. Il l’embrasse, il la baise et s’échauffe si bien encore en son harnais
qu’il continue de prendre ses plaisirs avec elle. Ayant achevé cette belle œuvre,
ils sont collés bouche à bouche l’un avec l’autre, et La Jaquière, qui veut que
ses compagnons aient part au gâteau, la conjure une autre fois de ce dont il
l’avait auparavant requise et la flatte si bien avec tant de douces promesses
qu’enfin, après beaucoup de refus et de plaintes qu’elle fait, il la fléchit à
ce qu’il désire, encore qu’elle fasse semblant d’en être toute dolente. La
Jaquière, ayant obtenu à grand-peine ce qu’il souhaitait, sort de la
garde-robe, et s’approchant de ses compagnons qui l’attendaient avec impatience
et avec un désir violent d’éteindre leur sale ardeur, guigne de l’œil à l’un
d’eux afin qu’il entre au lieu où il l’avait laissée. Cet homme ne se fait
guère prier. Il y trouve la damoiselle sur le lit, et sans autre cérémonie, il
en fait à son plaisir. Après, il sort et l’autre qui restait y va pareillement
et reçoit d’elle le don de l’amoureuse merci. Les voilà donc tous trois si
aises de cette bonne fortune qu’ils ne la changeraient pas pour un empire.
Chacun d’eux prend une chaise où il s’assied et la damoiselle s’assied en une
autre auprès d’eux. Ils ne cessent de la contempler et de l’admirer. L’un loue
son front et dit que c’est une table d’ivoire bien polie. L’autre s’arrête sur
ses yeux et assure que ce sont les flambeaux dont Amour allume toutes les âmes
généreuses. L’autre se met sur la louange de ses blonds cheveux qu’elle
déliait, parce qu’il était temps de s’aller coucher et ne cesse de proférer
tout haut que ce sont les filets où le fils de Cypris arrête la liberté des
hommes et des dieux. Enfin, il n’y a partie de son corps qu’ils ne prisent. Ses
mains ne vont jamais en vain à la conquête. Sa gorge surpasse la blancheur de
la neige ; et les petits amours volettent à l’entour de ses joues pour y sucer
les roses, les lys et les œillets que la nature y a semés. Après qu’ils ont
bien chanté ses perfections, elle se lève de sa chaise, s’approche du feu et
puis, se tournant vers eux, leur tient ce discours :
« Vous croyez, dit-elle, avoir fait un grand
gain, d’avoir obtenu de moi l’accomplissement de vos désirs. Il n’est pas si
grand que vous penseriez bien. Avec qui pensez-vous avoir eu affaire ? »
Ces hommes, étonnés d’entendre ce langage, ne
savaient que répondre, lorsque La Jaquière proféra ces paroles:
« Je crois, madamoiselle, que nous avons eu
affaire avec la plus belle et la plus galante dame qui vive. Quiconque dirait
le contraire manquerait d’yeux ou bien de jugement.
– Vous êtes trompés, repart-elle. Si vous
saviez qui je suis, vous ne parleriez point de la sorte. »
Ils furent encore plus ébahis de ces paroles et
comme ils avaient tous trois les yeux fichés sur elle et qu’ils se doutaient
quasi de ce qui en était, elle continua de parler à eux en ces termes :
« Je veux me découvrir à vous et vous faire
paraître qui je suis. »
Ce disant, elle retrousse sa robe et sa cotte
et leur fait voir la plus horrible, la plus vilaine, la plus puante et la plus
infecte charogne du monde. Et au même instant, il se fait comme un coup de
tonnerre. Nos hommes tombent à terre comme morts. La maison disparaît et il
n’en reste que les masures d’un vieux logis découvert, plein de fumier et
d’ordure. Ils demeurent plus de deux heures étendus comme des pourceaux dans le
bourbier, sans reprendre leurs esprits.
Enfin, l’un d’eux commença à respirer et à
ouvrir les yeux, et vit la lune qui achevait dans le ciel sa course. Il fit le
signe de la croix et se recommanda à Notre-Seigneur. Il s’efforça de crier,
mais la grande frayeur qu’il avait eue lui avait ôté la parole. Comme petit à
petit il commençait à se plaindre, Dieu permit qu’un homme portant une lanterne
s’arrêtât en ce lieu pour y décharger son ventre. Quand il entendit ces
gémissements, il s’enfuit et courut pour l’annoncer aux maisons prochaines.
Le jour chassait déjà les ténèbres lorsque des
voisins vinrent à grande hâte pour voir ce que c’était et trouvèrent La
Jaquière qui commençait de respirer et d’implorer le secours d’en haut. Le
premier, qui avait commencé à se reconnaître, se plaignait pareillement tandis
que l’autre dormait d’un sommeil éternel. Il mourut de peur sur-le-champ. Ceux
qui étaient accourus, ayant reconnu le lieutenant du chevalier du guet avec ses
compagnons, les emportèrent chacun en son logis, tous souillés d’ordure. On
enterra un des trois et les autres deux demandèrent un confesseur. La Jaquière
mourut le lendemain et l’autre ne vécut que trois ou quatre jours. Ce fut celui
qui raconta le succès de cette étrange aventure.
Le bruit ayant bientôt été semé par toute la
ville se répandit en peu de temps par toutes les provinces de France. Ceux qui
nient l’apparition des esprits ne savaient que dire, se voyant confondus par un
tel exemple. Mais les chrétiens et catholiques y remarquent les justes
jugements de Dieu. Ces choses n’arrivent point à ceux qui se disent de la
compagnie des fidèles, qu’ils n’aient commis d’autres péchés. La paillardise
attire l’adultère, l’adultère l’inceste, l’inceste le péché contre nature, et
après, Dieu permet qu’on s’accouple avec le diable. Je ne dis pas que ces
hommes fussent entachés de tous ces vices. Mon dessein est de ne blâmer
personne. Je ne déteste que le vice et soutiens qu’on est bien délaissé de
l’assistance du Saint-Esprit quand on tombe en de tels inconvénients.
Il reste maintenant à dire si c’était un vrai
corps, celui avec qui ils s’accouplèrent, ou bien un corps fantastique. Pour
moi, je crois fermement que c’était le corps mort de quelque belle femme que
Satan avait pris en quelque sépulcre et qu’il faisait mouvoir. Et si l’on me
dit qu’il n’y a pas d’apparence que le diable veuille emprunter une charogne
parce qu’on le découvrirait aisément par sa puanteur, je réponds que, puisque
le malin esprit a pouvoir de donner mouvement à ce qui n’en a point, il a bien
aussi la puissance de lui donner telle odeur et telle couleur qu’il voudra.
Joint qu’il peut tromper nos sens et s’insinuer dans eux pour nous faire
prendre une chose pour une autre. Nous en avons plusieurs témoignages arrivés
de notre temps. Celui de la démoniaque de Laon, entre autres, fait foi. Un
diable appelé Baltazo prit le corps d’un pendu à la plaine d’Arlon, à la
sollicitation d’un sorcier qui s’ingéniait de guérir la patiente. Si quelqu’un
désire de savoir comme la fraude fut découverte, il ne faut que lire l’histoire
de cette possédée, qui est assez commune en France.
Il y a une autre infinité de tels exemples dans
les histoires anciennes et modernes. Phlégon, affranchi de l’empereur Adrien,
en rapporte un étrange, d’une jeune fille nommée Philinion de Thessalie qui,
après avoir été mise au sépulcre, parut à Machates le Macédonien et coucha
longtemps avec lui et jusqu’à tant qu’ayant été découverts, le diable abandonna
ce corps qu’il faisait mouvoir et on l’enterra pour la seconde fois, comme si
elle fût encore trépassée.
Le même auteur rapporte qu’après la bataille
qui se donna entre les Romains et Antiochus, roi de Syrie, aux Thermopyles,
comme les Romains s’arrêtaient sur le pillage et dépouillaient les corps morts
des ennemis, un capitaine du roi nommé Duplage se leva d’entre les morts, et
puis, en voix grêle et déliée, proféra ces paroles :
« Ô soldats romains ! Cessez de dépouiller ceux
que l’avare nautonier a déjà passés au-delà du fleuve infernal. Le grand
Jupiter, de qui l’on doit redouter l’ire et la fureur, est transporté de colère
pour cette cruauté et inhumanité. Un jour viendra que ce Dieu souverain
couvrira votre terre d’un peuple aux sanglants exercices de Mars. Il saccagera
votre pays et pillera votre grande cité. Votre empire sera par lui détruit en
la même sorte que vous avez détruit les autres. »
Ces témoignages sont capables de réfuter les
athées et les épicuriens qui nient l’apparition des esprits, mais l’histoire
horrible et épouvantable que je vous ai déjà racontée ci-devant le témoigne
encore davantage ».
François de Rosset, Les Histoires mémorables et tragiques de nostre temps (1615),