miércoles, 3 de marzo de 2021

Portrait de l´amas des os humains mis en comparaison de l´anatomie de ceux des oiseaux

 

 


 

Pierre Belon, Histoire de la nature des oyseaux, avec leurs descriptions et naïfs portraicts retirez du naturel de 1555

 

"Le corps de l’homme est toujours la moitié possible d’un atlas universel. On sait comment Pierre Belon a tracé, et jusque dans le détail, la première planche comparée du squelette humain et de celui des oiseaux : on y voit « l’aileron nommé appendix qui est en proportion en l’aile, au lieu du pouce en la main ; l’extrémité de l’aileron qui est comme les doigts en nous… ; l’os donné pour jambes aux oiseaux correspondant à notre talon ; tout ainsi qu’avons quatre orteils es pieds, ainsi les oiseaux ont quatre doigts desquels celui de derrière est donné en proportion comme le gros orteil en nous ». Tant de précision n’est anatomie comparée que pour un regard armé des connaissances du XIXe siècle. Il se trouve que la grille à travers laquelle nous laissons venir jusqu’à notre savoir les figures de la ressemblance, recoupe en ce point (et presque en ce seul point) celle qu’avait disposée sur les choses le savoir du XVIe siècle.

   Mais la description de Belon ne relève à vrai dire que de la positivité qui l’a rendue, à son époque possible. Elle n’est ni plus rationnelle, ni plus scientifique que telle observation d’Aldrovandi, lorsqu’il compare les parties basses de l’homme aux lieux infects du monde, à l’Enfer, à ses ténèbres, aux damnés qui sont comme les excréments de l’Univers ; elle appartient à la même cosmographie analogique que la comparaison, classique à l’époque de Crollius, entre l’apoplexie et la tempête : l’orage commence quand l’air s’alourdit et s’agite, la crise au moment où les pensées deviennent lourdes, inquiètes ; puis les nuages s’amoncellent, le ventre se gonfle, le tonnerre éclate et la vessie se rompt ; les éclairs fulminent tandis que les yeux brillent d’un éclat terrible, la pluie tombe, la bouche écume, la foudre se déchaîne tandis que les esprits font éclater la peau ; mais voilà que le temps redevient clair et que la raison se rétablit chez le malade. L’espace des analogies est au fond un espace de rayonnement. De toutes parts, l’homme est concerné par lui ; mais ce même homme, inversement, transmet les ressemblances qu’il reçoit du monde. Il est le grand foyer des proportions, – le centre où les rapports viennent s’appuyer et d’où ils sont réfléchis à nouveau."

Michel Foucault, Les Mots et les Choses. Une archéologie des sciences humaines (1966)