sábado, 4 de diciembre de 2010

Les Gratteurs de Pourceaux



LES GRATTEURS DE POURCEAUX

Il y a quelques mois, dans le Valais, je fus témoin d'une scène devant laquelle-se serait pâmé d'aise le gros Courbet, le peintre réaliste et déboulonneur, auquel la France doit quelques mauvais tableaux de plus et une glorieuse colonne de moins.

C'était au bas d'une côte pelée, sur les bords d'une mare fangeuse; trois crétins goitreux, à tètes énormes, entouraient un porc obèse, couché tout près du chemin. Le plus ingambe de ces nains difformes et hébétés, descendu dans la mare, y puisait à pleines mains de la vase gluante et verdâtre, en remplissait son chapeau à larges bords et la passait ensuite à ses compagnons, dont l'un engluait le porc de cet
induit aussi repoussant à la vue qu'à l'odorat, tandis que l'autre, se servant de ses doigts crochus comme d'un peigne, grattait doucement l'épine dorsale du
stupide et sale animal.

«Le porc se laissait faire avec volupté, fermait complètement ses petits yeux enfoncés dans un épais bourrelet de graisse, et répondait par des grognements reconnaissants aux délicates attentions de ses bons amis.

« Quelle écoeurante occupation ! dis-je à mon camarade de voyage et excellent ami, le docteur Philosophus.

— Bah l fit celui-ci avec le sourire narquois qui lui est particulier, ce spectacle est-il donc si nouveau pour vous que vous n'y soyez pas encore habitué?

— Et où voulez-vous que je me sois habitué à voir des gratteurs de pourceaux ?

— Un peu partout, mon cher ami, mais surtout en France, où, par le temps qui court, ce métier est à la fois très-commun et très-lucratif.

— Cela, un métier commun?

— On ne peut pas plus commun.

— Vous voulez rire?

'— J'aurais, ma foi, plutôt envie de pleurer, je vous affirme. »
Et comme je continuais à ne pas comprendre : « Dites-moi, je vous prie, continua-t-il, avez-vous parcouru les derniers états de recensement de
la population de Paris? '

— Pas plus tard, que ce matin dans mon journal.

— Combien y a-t-il de libres-penseurs?

— Dix mille.

— Et des gens qui, ne pensant rien du tout, se font gloire de ne croire à rien, de n'avoir aucune religion?

—.Huit mille...

— Ce qui fait, n'est-il pas vrai, un total de dix- huit mille?

— Parfaitement.

— Donc, d'après les chiffres officiels, voici dix-huit-mille bipèdes qui, n'ayant aucune religion, n'obéissent à aucune loi morale, puisque sans Dieu il n'y a pas de morale, et ne s'occupent que de leur ventre.

— C'est encore vrai.

— Ces bipèdes n'apparaissent pas pour la première fois sur la terre : Horace, un poëte latin du siècle d'Auguste, connaissait leurs ancêtres et nous a fait connaître le nom qu'ils portaient à cette époque Epicuri de grege porci.

— Les porcs du troupeau d'Épicure.

— Vous voyez que le nom est. presque aussi ancien que la chose. Je pourrais m'arrêter là, mais je tiens à poursuivre mes interrogations.

— Pensez-vous que ces êtres dégradés, n`ayant ni religion ni morale, aient au moins une patrie?

— La Commune est là pour nous prouver qu'ils n'ont pas plus de patrie que de Dieu.

-^- Et de famille?

— Pas davantage, puisqu'ils s'en débarrassent le plus qu'ils peuvent, qu'ils réclament le divorce et prétendent que la légitimité des enfants est une in-
justice criante, contraire à ce code dégoûtant qu'ils appellent la loi naturelle.

— N'êtes-vous pas persuadé, et certes les preuves ne vous en ont pas manqué pendant cette sacrilège orgie qu'on appela la Commune, que la plupart de ces citoyens sont poussés par leur instinct vers l'ordure et que la fange a pour eux un attrait irrésistible?

— Je ne puis le nier.

— Enfin, ne voyez-vous pas fréquemment qu'après avoir vécu comme des animaux, ils se font gloire de mourir comme des animaux, et demandent en grâce d'être, après décès, enfouis dans un pourrissoir, n'importe où il se trouve, soit à Paris, soit à Lyon?

— C'est encore malheureusement vrai.

— Bien ; voici donc d'abord un beau troupeau de pourceaux tout trouvé. Et quand je dis pourceaux en parlant de ces êtres-là, franchement, ce n'est pas aux bipèdes que je crois manquer de respect, mais bien a l'animal auquel je les compare, et j'espère qu'il me pardonnera mon irrévérence. Reste maintenant à trouverles gratteurs. »

' — Ce sera plus difficile.

— Plus difficile 1 s'écria Philosophus, mais vous êtes donc aveugle

— Pas même borgne, comme... »
Il ne me laissa pas achever.

« Les gratteurs de pourceaux l mais vous en rencontrez à chaque pas, reprit-il; les gratteurs de pourceaux, ce sont les flatteurs du peuple.

— Vous êtes peu poli pour le peuple.

— Et voilà ce que c'est que de lire trop souvent les feuilles démocratiques qui n'appellent peuple que la canaille. Entendons-nous, personne plus que moi n'aime et ne respecte le vrai peuple, le peuple qui travaille et qui prie; ce peuple qui, courbé toute la semaine sur la charrue dans les campagnes, vient, le dimanche, austère et recueilli, s'agenouiller sur les dalles de pierre d'une église antique et prier Dieu de faire fructifier ses efforts ; ce peuple qui ensemence la terre et plante la vigne; ce peuple dont le labeur incessant permet à la France de payer une
rançon triplée par la lâcheté et l'ineptie de l'autre peuple, du peuple canaille. J'honore aussi le peuple ouvrier, qui use ses forces dans les ateliers, son intelligence dans l'industrie, pour nourrir et élever sa famille; qui n'ignore pas qu'au delà de la tombe il est une autre vie; qui, avec le peuple des campagnes, sait verser au profit de sa patrie ses sueurs et son sang.

« Ce peuple-là, les gratteurs de pourceaux le haïssent, et s'ils lui font des avances, c'est pour le ravaler à l'état d'abjection dans lequel ils tiennent la
canaille.

« Ils savent qu'il n'y a rien à faire avec des hommes dignes de ce nom; de là parfois leurs imprudentes colères, les insultes dont ils poursuivent les stupides
paysans, et ces soldats devant lesquels ils tremblent et contre lesquels ils vomissent de loin des insultes dignes de ceux qui les profèrent.

u Mais pour la canaille, au contraire, pour le peuple à eux, pour ce peuple qui ne croit pas, qui ne prie pas, qui ne travaille pas, qui ne se bat pas ; pour ce ramassis d'athées, d'ivrognes, de sales débauchés, de brutes immondes, qui furent la Commune, pour les voleurs et les repris de justice en rupture de ban, pour ces fainéants, ces aboyeurs d'insultes contre Dieu qui ne les punit pas sur l'heure, la religion qui leur pardonne et la force qui les méprise, pour tous ces candidats au bagne et à la déportation, quelles basses et continuelles flagorneries ; comme ils se prosternent devant eux, avec quel respect affecté ils leur brûlent sous les narines leur encens grossier l Écoutez-les : « Peuple, tu es grand, tu es sublime, tu es fort; nous sommes tes esclaves "

« Tu aimes l'ordure, peuple : tiens, avale ce roman, déguste cette tartine de haut goût, je te l'ai choisie bien faisandée avant de te l'offrir; j'y ai ajouté des épices dans cette colonne de mon journal; fais goûter à ta fille de ce feuilleton licencieux, cette lecture la rendra peu à peu digne de toi.

« Préfères-tu la boue, en voici une hottée ; c'est pour toi que j'ai ramassé ces scandales au coin des bornes, je te lès ai mâchés pour t'en rendre la trituration plus facile. Couche-toi, mon bijou, cuve ton vin à l'aise, laisse-moi te bien engluer, te boucher les yeux avec ces immondices : tu es si intelligent, si rusé, si fort, que tu n'as pas à craindre de surprise ; dors, et si je monte sur. ton corps pour m'élever, tiens-toi tranquille, c'est dans ton intérêt, pour voir de plus loin les dangers qui pourraient te menacer pendant ton sommeil.

« Qui donc t'a dit que tu as une âme? Quelque gredin de prêtre, conspirant contre ton repos. Dors paisible, j'écarterai de toi ces grosses mouches noires qui ne savent que t'importuner. Je ne suis pas le premier venu, et j'ai droit à ta confiance; je suis ouvrier comme toi, ouvrier de la pensée, il est vrai, mais je n'en suis pas moins un travailleur de la démocratie »

. « Voilà comment ils parlent dans leurs livres,dans leurs journaux, à la tribune, dans les clubs,dans les cabarets.
« Avocats sans cause, publicistes sans public, ambitieux sans talent et sans courage, immense volée de nullités, d'incapacités, de vanités inassouvies, d'orgueils démesurés, de cupidités besogneuses, de haines accumulées, représentants de tous les vices, auxquels il faut un esclave pour se hisser sur ses épaules.

a Et dans le seul but d'avoir cet esclave docile, ces gens-là brassent et pétrissent l'ordure afin d'obtenir les grognements approbatifs de leurs porcs jusqu'au jour où, une révolution éclatant, ils prendront le fouet pour éveiller leur immonde troupeau et le pousser à cet abattoir qu'on appelle les barricades.

« Que leur importe si le sang coule par torrent, puisque ce ne sera pas le leur?

« Mais en attendant ce jour funeste, eu peut-être ils trouveront encore quelque peu d'or à ramasser dans les décombres fumants et ensanglantés, ils se seront faits un nom et une position ; ils auront été chefs de parti ; ils auront acquis une notoriété qui leur permettra de gagner des centaines de mille francs en vendant des livres misérables écrits dans l'exil, ou des brochures infâmes colportées en contrebande; si leur peuple a la victoire, ils s'adjugeront ministères et préfectures, honneurs et grasses sinécures; et pour panser des blessures reçues à.
leur seul profit, ils lui jetteront, non plus quelques poignées de monnaie comme un souverain au jour de son sacre, mais quelques phrases creuses, telles que celle-ci, aumône faite à la populace par le grand Victor Hugo :
« Le Panthéon se demande comment il fera pour recevoir sous sa voûte ce peuple qui va avoir droit a son dôme! »
« Pauvre peuple, quelle poignée de glands!« Que la digestion t'en soit légère
Et voilà, mon cher ami, comment, avec un peu d'industrie, un bon gratteur de pourceaux peut se faire non pas dix, mais cent mille francs de rente. Dites, après cela, que ce métier ne vaut pas mieux que celui des éleveurs de lapins!»


A. de Lamothe

Merci à notre ami et complice Sebastien Hubier de nous signaler ce texte étonnant

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