"À mi-chemin, ils commencèrent à entendre de la musique, puis ils arrivèrent
dans une boite de nuit au décor ultramoderne, presque vide. Un orchestre de
jazz, installé sur un podium derrière le bar, jouait pour une poignée de
consommateurs installés dans un box sombre. Prativa montra en souriant une
inscription en népalais.
Cela signifie : "
Ne fumez pas de ganja dans cet établissement ", dit-elle. Mais personne
n'y fait attention. Comme pour souligner son propos, elle ouvrit son sac et en
tira un magnifique pétard.
Vous avez du feu?
demanda-t-elle avec un sourire dévastateur.
Malko s'exécuta et la
flamme du Zippo armorié enveloppa le pétard gros comme un cigare. Prativa
aspira la fumée et la rejeta lentement.
C'est bon! On continue
au champagne?
Ce n'était pas le moment
de la contrarier. Malko était bien décidé à lui extorquer le nom de sa "
source ". Cinq minutes plus tard, un maître d'hôtel, figé de respect pour
un client aussi munificent, déposait sur la table une bouteille de Taittinger
Comtes de Champagne, nettement moins poussiéreuse que celle de Chez Caroline.
Il repartit sans sembler voir la fumée noirâtre du pétard.
Prativa se jeta
avidement sur les bulles, vidant deux flûtes coup sur coup. Elle commençait à
onduler au rythme de la musique, visiblement très loin du massacre royal. Ce
qui ne faisait pas l'affaire de Malko. Car, si la jeune femme disait la vérité,
les soupçons de Langley se vérifiaient, avec une implication déplaisante et
imprévue: le rôle des " Cousins ". Lesquels, volontairement, auraient
lancé Malko sur une fausse piste. À moins qu'Andrew Teck soit lui-même manipulé
par les Népalais.
On danse? proposa
Prativa, arrachant Malko à ses réflexions.
Il y avait déjà deux
couples sur la piste, les filles en jean. C'était un blues plein de langueur et
Prativa s'abandonna très sensuellement dans les bras de Malko. La soie du sari était
si fine qu'il pouvait sentir toutes les courbes de son corps. Sa lourde
poitrine s'écrasait contre l'alpaga de sa veste. Il posa sa main sur sa peau
nue, entre le boléro et la longue jupe et, aussitôt, Prativa se serra encore
plus contre lui. Leurs visages se frôlaient et il eut très vite envie d'écraser
la grosse bouche rouge et gonflée qui semblait l'appeler silencieusement. Mais
il fallait se tenir. Si la ganja était tolérée, le flirt semblait nettement
moins admis. A côté d'eux, les couples dansaient sagement à un mètre l'un de
l'autre. Une des danseuses lança un regard furibond à Prativa, incrustée sans
vergogne contre Malko, qui commençait, même sans ganja, à s'échauffer sérieusement.
Réaction que sa cavalière ne pouvait pas ignorer.
Les blues faisant place
à une musique plus trépidante, Prativa regagna leur box, avec un balancement
des hanches à enflammer un mort. Malko remplit sa flûte de Taittinger. Elle but
lentement, savourant chaque bulle, avant de demander, pleine d'innocence :
Je ne vous choque pas ?
demanda-t-elle, avant de reprendre son pétard.
Ses yeux brillaient
dans la pénombre et elle était vraiment très excitante avec cette énorme bouche
peinte à la main et cette poitrine lourde qui se soulevait un peu trop vite.
À cause de la ganja?
demanda Malko. Non, bien sûr, mais je voudrais bien que vous me disiez qui vous
a assuré que le prince Dipendra ne s'était pas suicidé.
Elle souffla lentement
la fumée.
Plus tard, peut-être.
Ce soir, je veux me détendre. Il regarda les bagues qui brillaient à presque
chaque doigt de ses mains.
Vous aimez les pierres
de couleur, remarqua-t-il. Prativa Thapa baissa les yeux sur ses mains.
Oui. Mais c'est surtout
pour me protéger des mauvaises influences astrologiques. Chaque couleur représente
une planète. Le vert, c'est Saturne, le rouge Vénus, le jaune Mars. Tout le
monde fait cela. Au Népal, nous sommes très superstitieux. Il y a tellement
d'influences invisibles. D'ailleurs, tous les gurus avaient prédit une
catastrophe pour cette année.
D'autres couples étaient
arrivés. C'était un peu moins mort. Ils se resservirent du champagne. A cause
du bruit, il devenait difficile de se parler. Au bout d'un moment, Prativa écrasa
dans le cendrier ce qui restait de son joint et proposa :
On rentre?
Elle était déjà debout.
Malko abandonna une très grosse poignée de roupies et la suivit. Elle montait
l'escalier en colimaçon avec un déhanchement volontairement provocant. Le
chauffeur de la Toyota dormait à son volant. Prativa lui jeta quelques mots et
il partit à toute allure dans les rues désertes. Après dix heures du soir,
Katmandou ressemblait à une " ghost town ". À part quelques "
check points " de police, il n'y avait pas un chat. Soudain, le chauffeur
s'engagea dans un boyau sombre et Malko reconnut la rue où demeurait la jeune
femme. Ils s'arrêtèrent devant sa maison et, d'une voix naturelle, Prativa suggéra
:
Renvoyez le chauffeur.
Vous prendrez un taxi pour rentrer à l'hôtel.
Prativa Thapa occupait
un appartement au premier étage d'une villa sans grâce entourée d'un jardin en
friche. Lorsqu'elle alluma, Malko découvrit un petit living-room avec deux
canapés, des murs couverts de peintures et un sol recouvert de tapis tibétains.
Asseyez-vous,
proposa-t-elle, désignant un grand canapé recouvert de coussins.
Elle se mit à allumer
des bâtonnets d'encens plantés dans de petits vases, et enclencha une cassette de
musique étrange, inconnue de Malko. Puis elle disparut et revint avec un flacon
de cristal.
Je vais vous faire goûter
le " poison " népalais, dit elle avec un sourire.
Cela ressemblait à du
saké japonais. Prativa en avala deux grandes rasades et s'assit en tailleur
face à Malko. Pendant un moment, ils se laissèrent bercer par la musique. Puis,
peu à peu, la jeune femme s'anima. D'abord sa tête se mit à dodeliner, puis son
torse commença à onduler lentement. Elle avait fermé les yeux. Lorsque ses paupières
se soulevèrent, Malko reçut le choc de deux prunelles noires comme éclairées de
l'intérieur. Prativa le fixait d'un regard hypnotique, absent. Soudain, elle
fit glisser le sari de ses épaules, découvrant le boléro assorti qui semblait
prêt à éclater sous la pression de ses seins. Les longues pointes moulées par
la soie ressemblaient à des doigts. Le torse droit, Prativa se mit à faire
onduler ses épaules, en une danse immobile d'une sensualité incroyable. Malko
en avait la bouche sèche. Tout doucement, la jeune femme commença à effleurer
de ses mains couvertes de bagues la soie du boléro, comme pour faire gonfler
encore plus ses seins. Son regard était vrillé dans celui de Malko et il
n'avait qu'à allonger le bras pour la toucher.
La tentation était trop
forte. Il tendit la main et effleura les pointes dressées sous la soie. Prativa
eut un sursaut.
Doucement, dit-elle, très
doucement.
Il obéit. Ses doigts
tournèrent autour des longues pointes, puis plus bas. Prativa respirait profondément,
son regard toujours fiché dans le sien. Soudain, elle lui prit les deux mains
et les posa au centre du boléro. Il sentit sous ses doigts des crochets et
comprit ce qu'elle désirait. Un par un, il les défit et le boléro s'ouvrit sous
la pression des seins, les découvrant presque entièrement. Lourds, fermes, la
peau cuivrée, tombant très légèrement. D'un geste gracieux des épaules, Prativa
se débarrassa alors du boléro. Elle laissa Malko jouer avec ses seins quelques
instants puis recula imperceptiblement. Docile, il n'insista pas. Autant se
plier de bonne grâce à cette leçon pratique de Kamasoutra. Le regard de Prativa
s'abaissa sur son ventre.
Déshabillez-vous,
dit-elle d'une voix égale. Puis remettez-vous dans la même position.
Intrigué, Malko obéit,
ne gardant que son érection.
Repliez vos jambes sous
votre corps, intima de sa voix douce la jeune femme, posez vos mains à plat sur
vos genoux.
La position du lotus. Où
voulait-elle en venir? S'il s'était écouté, il se serait rué sur elle et
l'aurait violée là, à même le tapis tibétain. La musique continuait, avec un
rythme de tambourins très doux. Prativa commença à se balancer légèrement
d'avant en arrière, ses mains en coupe soutenant ses seins. Malko attendait, le
sexe douloureux à force de tension. Torse nu, enveloppé à partir de la taille
dans son sari, Prativa combinait érotisme et pudeur.
Malko avait des crampes
à force de rester immobile, mais il avait l'impression que le seul regard de la
jeune femme posé sur lui renforçait son érection. Comme elle était assise à même
le sol, plus bas que lui, il réalisa que sa bouche était à peu près à la
hauteur de son sexe dressé, ce qui aiguisait encore son désir. Désormais, il
suivait avidement les balancements de son buste car, peu à peu, la grosse
bouche rouge se rapprochait de lui. Enfin, elle l'effleura, si légèrement qu'il
se demanda s'il n'avait pas rêvé. Mais, quelques instants plus tard, il sentit,
comme une brûlure, l'extrémité d'une langue raidie effleurer son gland gonflé
de sang. La sensation fut si forte qu'il faillit éjaculer sur-le-champ. Cela
devenait une torture raffinée.
Prativa se balançait
d'avant en arrière de plus en plus vite. Brusquement, Malko se souvint d'un
film en noir et blanc où une très jeune Indienne en sari se livrait au même manège,
mais face à un cobra royal et sacré. Lequel se balançait également. Finalement,
la bouche de la jeune femme effleurait la gueule du serpent en un immonde
baiser...
Il bloqua sa
respiration, se concentrant sur le visage hiératique de Prativa dont le regard
hypnotique ne le lâchait pas. Maintenant, les effleurements étaient de plus en
plus rapprochés. Si fugitifs cependant qu'il n'avait pas le temps d'en
profiter... Les grosses lèvres rouges se refermèrent une fraction de seconde
sur lui et il poussa un cri rauque. Mais déjà le balancier humain s'était éloigné.
La fois suivante, ce fut une langue qui l'enveloppa le temps d'un éclair. Il
sentait la sève monter de ses reins, était au bord de l'explosion, mais n'osait
pas bouger pour ne pas rompre le charme.
Prativa le picorait à
la façon d'un oiseau.
Encore un frôlement.
Cette fois, c'en fut trop. Il se sentit partir. Au même moment, la bouche
s'abattit à nouveau sur lui, mais cette fois, au lieu de l'effleurer, les lèvres
épaisses l'engloutirent jusqu'à la racine.
Malko poussa un cri
sauvage et se vida d'un coup dans la bouche qui, enfin, restait serrée autour
de son sexe. Impossible de savoir s'il aurait joui de toute façon à cet instant
précis ou si cette caresse avait enfin déclenché son plaisir. 'Penchée en
avant, Prativa avalait sa semence, impassible, sans même que ses mains l'aient
touché.
Il avait la sensation
de ne plus être qu'un énorme court-circuit... Enfin, la bouche se retira avec
lenteur. Il bandait toujours autant, mais se sentait pourtant totalement apaisé.
Son fantasme de posséder Prativa sur le tapis s'était évanoui avec son orgasme.
Il se détendit d'un coup. La jeune femme le regardait gravement.
C'est bien,
approuva-t-elle, vous avez été courageux. Beaucoup d'hommes ne tiennent pas
jusqu'au bout. Ceux-là, je ne les revois jamais..."
In Memoriam Gérard de Villiers (8 décembre 1929- 31 octobre 2013)
SAS Le roi fou du Népal
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