« 15e estampe
: Un jeune homme-âne exprimant sa tendresse à une jeune personne de son espèce.
Ils sont vus
par Hermantin. Le galant dit à sa maîtresse : « Hhîh hhouh ; hhânh, hhânh » !
»]
«Après avoir
déposé les deux nouveaux Élèves, Alexandre, Hermantin & Dagobert
repartirent pour continuer leurs decouverte. Ils trouvèrent bientôt une île nouvelle, sous la même
latitude que l’île chevale, mais beaucoup moins favorisée de la nature : les
chardons y croissaient sur un sol aride ; il y avait aussi une sorte de vigne,
qui portait de fort petits raisins. On pouvait à peine la traverser, à cause
des plantes sarmenteuses qui embarrassaient les endroits maigres. Tandis que
les trois volants examinaient cette nouvelle terre, ils entendirent à quelques
pas d’eux une conversation tout à fait originale. Je ne vous en rapporterai que
le commencement : les traits –
marqueront le changement d´interlocuteur. –Hhîhhhouh ; hhânh, hhânhh ! –Hhinnh ! hhouih !
hhânh-hhîh. –Hrrhh ! hhîh hhôuh hhîh hhouih hhouhîmh hhâimhh ! hhi !
hihinnhinh-hhîh !, etc.
Hermantin, fut curieux de voir les personnages qui parlaient ce langage agreste
et peu poli. Un coup de parasol l’éleva de dix pieds ; il plana sur les
buissons et vit, derrière un hallier de ceps et de ronces, deux êtres, dont
l’un parlait à l’autre un langage encore plus éloquent. La jeune femelle, dont
le figure tenait de l’ânesse et de la femme, cueillait des chardons fort
tendres, qu’elle mêlait avec des jets nouveaux de vigne sauvage ; tandis que le
jeune homme-âne, son amant, employait pour la déterminer à le satisfaire le
double langage dont j’ai parlé. La jeune
Amante, sans quitter son occupation, écoutait et regardait en souriant. Je suis
en état de vous traduire la harange de sir Aliboron: -Hhîh hhouh; hhânh, hhánh!
(Je te desire; laisse, laisse!) -Hhinnh! hhouih! hhânh-hhíh (Eh-non!
finis!" laisse-moi). -Hhrrhh! hhîh hhônh hhîh hhouih hhouhîmh hhâimhh!
hhi! hihinnhinh-hhîh (Ah! je vais bien te faire m´écouter! alons-vite!
souffre-moi!) Telle est la fine galanterie dans l´Ile-asine et je ne vois pas
qu´elle vaille moins quáilleurs.
Des paroles, cet amant pressant allait sans doute aller aux effets-car
il était fort ardent- et sa maîtresse souriait, lorsque celle-ci, comme toutes
les femmes en cas pareil jeta un coup d’oeil pour être sûre qu’elle n’était
point vue. Elle aperçut le jeune Hermantin, qui regardait par-dessus les
arbustes*. Effrayée, elle fit un bond, une pétarade, et s’enfuit. Le jeune
homme-âne, plus courageux, resta, les yeux fixés sur le gros oiseaux. Hermantin
lui fit des signes et se mit à braire de son mieux. Ce qui fit sourire l’homme-âne,
apparemment parce qu’Hermantin écorchait la langue, au lieu de la parler. En
même temps Alexandre et son neveu Dagobert s’approchèrent ; ils saisirent le
jeune homme-âne, tandis qu’il était occupé d’Hermantin, mais ils ne le
retinrent que pour lui faire de bons traitements. Tandis qu’ils le tenaient,
son amante revint timidement, et elle regarda entre les branches des
arbrisseaux. Hermantin qui l’aperçut, l’alla surprendre, et malgré ses efforts
pour s’échapper, il l’amena auprès de son amant. Là, on les caressa tous deux ; on leur donna du
pain-de-froment & des châtaignes, qu'ils parurent aimer passionnément : car
la Jeune-fille ayant d'aboid refusé de toucher au pain, elle ne sentit pas plutôt
la châtaigne, qu'elle se jeta dessus , en mangea autant qu'on lui en voulut
donner, & resta volontiers. Alexandre crut devoir fairetransporter cette
nouvelle Espèce à l'Ile-Christine ; il les y envoya par son Fils & son
Neveu, voulant rester dans l'Ile-asine, pour en examiner les finguliers
Habitans. Il n'eut pas la peine de les chercher. Lorsque les deux Jeunes-gens
qu'il fesait enlever, se sertirent emportés, ils firent un braiement si fort,
que toute l'Ile en retentit. | Aussitôt les Hommes-ânes accoururent
de-toutes-parts, pour savoir ce que c'était. Ils ne trouvèrent plus leurs deux
Compatriotes, mais ils apperçurent avec étonnement Alexandre qui leur fit des
signes d´amitié. Ils s´approchèrent de lui assez stupidement, mais comme il
avait peu de provisions, il se contenta de leur offrir, en signe de
bonne-intelligence, des bouts de farmens encore tendres et des
coeurs-de-chardon qu´ils mangèrent. Il ne lui falut pas davantage pour acquerir
leur familiarité. Du reste, ils étaient lents, opiniâtres et durant les deux
jours qu´il passa avec eux, en attendant ses compagnons, il n´eut lie d´être content que de la jeunesse qui
paraissait assez vive. Les hommes et les femmes-ânes étaient fort sobres, ils ne
s´amusaient pas à des jeux, comme les hommes-chevaux, les deux sexes ná vaient
qu´un penchant, celui de l´amour: mais aussi celui-là étiait si puissant en
eux, qu´il valait tous les autres: Hommes, Femmes, Jeunes-gens, tout ne
respirait que la volupté ; tous la cherchaient avec empressement , & s´y
livraient presque sans mesure, après l'avoir trouvée. Il paraît que toute
l'espèce vivait en communauté, & que les Femelles elles-mêmes caressaient
indifféremment tous les enfants. Alexandre restait quelquefois plusieurs heures
en contemplation et ne pouvait s´empêcher de se dire sans cesse: -Mais ils sont
heureux dans leur brutitude, ces bons HOmmes-ânes! ils sentent vivement, ils
jouissent avec transport, ils trouvent facilement l´Objet de leur désir: que faut-il
de plus, pour être heureux! hélas! que leur donnerions-nous, quand nous
parviendrions à les élever à notre degré d´intelligence et de raison! Ne
serait-ce pas une perte réelle pour seux, s´ils prenaient en même temps nos
inquiétudes, nos passions intéressées et basses, notre fatale science du bien
et du mal, et la connaissance de la mort! Ah! que faisons-nous! Ce fut ainsi
que relféchissait le prudent et sensible Alexandre, pendant les deux jours
qu´il resta seul dans l´Ile-asine. Il trouva cependant, après un mûr examen,
que ces Hommes-ânes pouvaient être utiles, non à faire des Académiciens, mais
de vigoureus Portefaix : cette idée n'eut pas d'exécution, parce-que tôt ou
tard, elle aurait plongé ces Malheureus dans l'esclavage. Les deux jeunes
Volans ses compagnons, revinrent le soir du second jour, & il se trouva
qu'Hermantin avait tenu en route à son cousin Dagobert des discours du même
genre que les réflexions de son Père. Vous verrez dans peu, que c'était aussi
le sentiment d'un Peuple de Sages, que les jeunes Princes doivent aler visiter..."
Restif de la Bretonne, La Découverte australe par un homme volant, ou Le Dédale français (1781)
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