sábado, 30 de marzo de 2019
La jolie laideron ou Ce qui plaît aux hommes
"Il est certain que la laideur ne saurait être aimable. ainsi on ne jugera pas à la rigueur le titre de cette nouvelle. Si l´usage est de dire qu´une laideron est jolie, adorable, charmante, il n´en est pas moins vrai que cette laideron prétendue doit tous les agréments à la beauté. On décide trop vite qu´une femme est laide; ce sont ordinairement les hommes froids, ou les autres femmes qui donnent cette décision. Les hommes sensibles sont plus reservés, et dès qu´une femme a ému leur coeur ou leurs sens, pour tout au monde ils ne conviendront pas qu´elle est laide. J´ai connu dans la rue Saint-martin une femme basanée (sur le visage seulement), grêlée, ayant de petits yeux, enfin décidée laide par une majorité de cent-soixante contre dix, un joue elle était au boulevard, en deuil de cour (genre de parure qui ne devait pas lui être favorable); tous les hommes la regardaient et j´entendis répéter cinquante fois: voilà une jolie laideron! Mais ce n´était pas sa laideur qui plaisait, c´était sa beauté et voici en quoi elle consistait. Elle était taillée à peindre, elle avait une jambe parfaite, un pied mignon, le port de sa tête et de son cou avaient une grâce naturelle qui séduisait, son air était plein de gaîté, ses yeux noirs et brillants, quoique petits, avaient quelque chose de mignard et tous ses mouvements je ne sais quoi d´enchanteur: sa marche était voluptueuse sans indécence. Voilà ce qui plaisait, c´étiat ce qu´elle avait de beau qui faisait naître l´admiration et le désir. Je me suis toujours rappelé ce trait parce que cette jeune dame est une de ces femmes qu´au premier coup d´oeil tous les coeurs de bois doivent irrémissiblement juger laide.
Je connais aussi une blonde dans le même cas: elle est grande, faite autour, pleine de goût dans sa parure, mais cette fille a le visage couvert de son, la forme n´en est pas gracieuse, ses yeux jaunes et petits, garnis de cils trop blonds et fort apparents ne peuvent être une beauté, cependant elle est charmante: Il semble en passant devant elle que c´est d´abord sa laideur qui frappe: on la regarde, et la laideur disparaît pour ne laisser voir que des grâces. Son air, son sourire ont quelque chose d´attendrissant qui semble demander le coeur, une belle main, une belle gorge y joignent leurs charmes et celui qui s´était dit tout-bas: Elle est laide s´en va pensant: Mais je l´adorerais.
Un jour que j´étais au Palais une jeune Dame vint à l´audience de la Tournelle: elle avait bon-air, une parure séyante, elle frappa tout le monde: on se disait: Mais elle n´est pas jolie! elle est laide! Cependant tous les yeux restaient fixés sur elle avec une forte admiration. Je ne me souviens pas effectivement d´avoir jamais vu une figure qu´on pût moins cesser de regarder; on y découvrait à chaque instant quelque détail agréable qui avait d´abord échappé: son sourire surtout était charmant, elle avait les plus belles dents du monde, quelque chose de tendre et d´engageant dans la physionomie, sa taille avait cette élégance qui n´est pas un effet de la maigreur mais d´une belle proportion et tous ses mouvemenst avaient une mollesse qui les changeaient en grâce. Lorsqu´on sortit chacun attendit encore pour la voir passer et trente voix dirent ensemble: -voilà une laide qui est jolie!- Elle est adorable! -Je la préférerais à toutes les beautés -Que osn amant doit être heureux. Elle entendait tous ces propos et une modeste rougeur la desenlaidit encore au point que je vis le moment où la tête allait en tourner à toute l´assemblée. Je la suivis, comem les autres dans la salle des Librairies où je vis à mon aise toutes les grâces de sa démarche et le bon goût de son ajustement, effet l´élégante simplicité, de la propreté la plus recherchée. Son soulier bleu céleste uni était si joli qu´il semblait fseul digne de la porter. Je pris des renseignements sur cette Jolie-laide, elle se sommait Adrienne Lancelot. On va la connaître par cette nouvelle..."
Rétif de la Bretonne, Les contemporaines ou aventures des plus jolies femmes de l´âge présent, 1780
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