jueves, 9 de abril de 2009
L'évangile selon Ludolphe
"Dès que Jésus avec ses disciples eut débarqué, il rencontra deux possédés d'une fureur extrême qu'ils exerçaient sur eux-mêmes et sur les autre^ ; quoiqu'ils ne pussent faire plus que Dieu ne leur pesmettait, personne nosait passer par ce chemin-là (Matth. vm, 28). Tel est le but que les démons se proposent en nous attaquant, c'est de nous obstruer la route' de !a vie. Ils sortirent des sépulcres, où ils habitaient comme dans leur domicile. Les démons demeuraient dans les tombeaux, où les cadavres des Gentils étaient ensevelis, pour montrer qu'après le jugement ils auraient en leur pouvoir le corps de ceux dont ils avaient déjà les âmes. Quelquefois aussi, les démons font rester les possédés dans les tombeaux pour effrayer les vivants par les âmes de leurs morts, et aussi, parce que les démons se complaisent et se réjouissent dans les œuvres de mort qui sont les péchés. Lors même que ces possédés étaient garrottés et enchaînés, ils brisaient leurs liens et leurs fers par- la force diabolique qui les poussait dans le désert. A ces hommes ressemblent les mauvais religieux que les liens de l'obéissance et de leurs constitutions ne peuvent retenir dans leurs cloîtres ; car sortant de ces sépulcres où ils devraient être morts au monde, ils vont s'occuper d'affaires séculières ou inutiles ou mauvaises.
Les deux démoniaques, sentant la puissance divine, par un mouvement non pas d'humilité mais de crainte vive, se prosternèrent aux pieds de Jésus, et V adorèrent, en poussant des cris violents (Matth. vin, 29). Selon la remarque de saint Hilaire (Canon. 8 in Matth.), ce n'était pas une confession volontaire, mais un aveu arraché par la vertu de Celui dont ils redoutaient la présence. Ils disaient donc : Qu'y a-t-il entre vous et nous, Jésus, fils de Dieu? Comme s'ils disaient : Il n'y a rien de commun entre vous et nous ; vous êtes Dieu, nous sommes des démons ; vous êtes humble, nous sommes orgueilleux ; vous êtes venu pour sauver les hommes tandis que nous sommes venus pour les perdre. Aussi, l'Apôtre a dit (II Cor. vi, 15) : Quel accord peut-il y avoir entre Jésus-Christ et Déliai ou le démon? Aucun, assurément ; car tout ce que Jésus-Christ fait est bien et tout ce que fait le démon est mal. Satan avait dit précédemment sous forme dubitative : Si vous êtes le Fils de Dieu (Matth. iv, 3) ; instruit par les tourments qu'il endure, il dit maintenant d'une manière affirmative : Jésus, fils de Dieu : car le châtiment ouvre les yeux de ceux auxquels le péché les avait fermés. Toutefois, les démons ne connaissaient pas encore avec une certitude absolue que Jésus était Fils de Dieu ; mais ils le pensaient, d'après plusieurs conjectures qui ne leur laissaient pas une parfaite assurance. Par conséquent, comme le fait remarquer saint Augustin (de qusest. novi et veteris Testam.), si les démons s'écrient : Qu'y a -t-il entre vous et nous, Jésus Fils de Dieu ? il est probable qu'ils soup- çonnaient plutôt qu'ils ne connaissaient la divinité de Jésus- Christ ; car au témoignage de saint Paul, s'ils l'eussent connu, ils n'eussent jamais crucifié le Seigneur de la gloire (I Cor. n, 8). Ces deux démoniaques qui adorent et confessent le Seigneur par crainte, sont des figures de ceux qui servent Dieu par appréhension de l'enfer plutôt que par amour de la justice ; ils ont l'œil gauche tourné vers l'enfer ou vers leur avantage temporel plutôt que l'œil droit élevé vers le ciel et vers le bien immuable, et ils ne rendent point honneur à Dieu sans un motif d'intérêt.
Les démoniaques ajoutent : Vous êtes venu ici nous tourmenter avant le temps voulu (Matth. vin, 29;. Ils savaient qu'au jour du jugement ils doivent être condamnés et précipités dans l'abîme pour y être tourmentés ; mais ils se disaient déjà tourmentés, parce que, selon saint Jérôme (in cap. v Matth.), la présence du Sauveur fait le supplice des démons. D'après saint Chrysostôsie (Hom. 29 in Matth.), ils étaient flagellés et affligés d'une manière invisible et ils enduraient des douleurs atroces par la seule présence de Jésus-Christ. Ou bien encore, ils étaient tourmentés, parce qu'ils appréhendaient d'être chassés des corps, objets de leurs continuelles vexations ; car, d'après saint Jérôme (in en p. vin Matth.), c'est un grand supplice aux démons de ne pouvoir toujours faire souffrir les hommes qu'ils ne cessent point de haïr, et ils lâchent leurs victimes d'autant plus difficilement qu'ils les ont possédées plus longtemps. Que celui' donc qui a été blessé par le démon, se hâte de secouer son joug, parce que cet affranchissement est d'autant moins difficile que la sujétion est moins invétérée.
Et Jésus interrogea les démons sur leur nom ; ce n'est pas sans doute qu'il ne les connût point, mais il voulait par leur propre témoignage rendre leur multitude plus manifeste, afin que l'on crût mieux combien ils étaient nombreux dans ces deux hommes ; car, en faisant déclarer la grandeur du mal, il faisait par là même ressortir la puissance du Médecin. Ils lui répondirent : Légion est notre nom, parce que nous sommes plusieurs (Marc, v, 9). Or, on entend proprement par légion un nombre déterminé de soldats armés ; elle se compose de six mille six cent soixante-six hommes. Ainsi, les démons sont appelés Légion, parce qu'ils combattent en masse contre nous ; et que, s'ils ne peuvent nuire aux hommes dans leurs personnes, ils s'efforcent au moins de leur nuire dans leurs biens. Voilà pourquoi ils prièrent Jésus, s'il les chassait, de ne pas les expulser du pays, c'est-à-dire de la demeure des hommes, ou de ne pas les précipiter dans l'abîme, c'est-à-dire dans l'enfer (Luc. vni, 3.1); car l'enfer est le lieu destiné pour les démons. Cependant, il leur est permis de rester parmi les hommes jusqu'au jour du jugement, afin qu'en surmontant les tentations, les élus remportent sur eux une victoire plus glorieuse. Les démons supplièrent Jésus de les laisser passer dans des pourceaux, pour affliger les hommes au moins en quelque façon (Luc. vm, 32) ; car, toujours ils s'appliquent à leur inspirer de la tristesse, et se réjouissent de leur causer quelque perte. Mais, telle est la faiblesse des démons qu'ils ne peuvent rien sans la permission de Dieu. Si donc ils ne pouvaient nuire aux pourceaux sans permission, a plus forte raison aux hommes ciéés à l'image de Dieu. Nous devons par conséquent ne craindre que Dieu, et mépriser profondément ces êtres si dégradés qu'ils demandent à entrer clans des pourceaux"
Ludolphe le Chartreux
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