jueves, 21 de mayo de 2020

Les vespertillos sélénites



La lune est-elle habitée? C'est ce qu'on ignore, mais on peut affirmer que, s'il y existe des êtres organisés, ils sont bien différents de ceux de la terre, puisqu'ils doivent vivre sans air et sans eau. Ils seraient en outre d'une bien petite dimension : un homme de cinquante centimètres serait un
géant.

Mais de ce que nous ne pouvons voir les habitants de la lune, ni comprendre leur organisation , on ne peut conclure qu'il n'y ait point d'êtres organisés sur ce globe; on peut même admettre que, s'il y en a, nous les verrons un jour. Nous avons dit qu'à l'aide du télescope d'Herschel, la lune
nous apparaît comme si nous n'en étions éloignés que de seize lieues; vienne maintenant un homme de génie qui centuple la puissance de ce télescope , et nous verrons la lune comme si nous n'en étions qu'à six cent quarante mètres ; puisque le progrès continue, il n'y aura plus sur ce globe rien de caché pour nous.

Ces probabilités ont fait, il y a quinze à seize ans, le succès d'une des plus audacieuses mystifications qu'on puisse imaginer. Quelques astronomes anglais étaient partis depuis
plus de dix mois pour le cap de Bonne-Espérance, emportant des instruments d'une grande perfection , pour faire des expériences , lorsque parut à Londres un mémoire attribué
au chef de cette expédition, qui révélait des merveilles : il avait vu les habitants de la lune, qu'il appelait Vespertillos ; c'était des hommes comme nous, plus petits, mais d'une perfection presque divine; ils avaient des ailes et ils s'élançaient à volonté dans l'espace.... Telle était la puissance des instruments, que l'heureux observateur avait pu étudier leurs mœurs : il avait vu des maris mollement étendus près de leurs épouses sur le gazon verdoyant , tandis qu'à leurs pieds
se jouaient des enfants d'une beauté plus qu'angélique.
L'observateur avait vu encore une foule d'autres choses que nous ne saurions dire, et qui, au premier aspect, semblaient très-vraisemblables; car, s'il est une vérité que l'on doive proclamer et contre laquelle ne puissent rien les remparts de bois de la vieille Angleterre, comme ils disent de l'autre côté de la Manche, c'est qu'un Anglais qui ment est toujours un des plus habiles menteurs du monde.

Dieu sait le bruit que fit la découverte ! Le mémoire fut traduit dans toutes les langues connues; on en publia à Paris quatorze éditions en six semaines. On ne parlait que des vespertillos, et les lionnes de ce temps commencèrent à trouver ridicule que le gouvernement ne fit rien pour tenter
d'acclimater chez nous d'aussi adorables créatures. En même temps on critiquait les savants de l'Observatoire de Paris. — L'État paye ces gens-là , disait-on ; il les paye même fort cher, et ils dorment!... Ce n'est pas eux. qui auraient découvert les vespertillos !

Le plus drôle de l'affaire, c'est que ces savants étaient tout honteux; on leur criait de toutes parts : Vespertillos! Ce mot était un poignard qu'ils avaient incessamment sur la gorge. Nous disons ce mot; quant à la cose, ils s'aveuglaient à la chercher, et ils ne la trouvaient point. Les infortunés seraient morts à la peine , si les astronomes anglais n'étaient enfin revenus du cap de Bonne-Espérance ; ils s'empressèrent de démentir les hâbleurs qui avaient si bien exploité la crédulité publique; mais par malheur, il n'est pas aussi facile de détruire une erreur de ce genre que de
l'implanter dans l'esprit du peuple , et aujourd'hui encore il existe des gens qui croient à l'existence des vespertillos.

Comte Foelix, Astronomie des dames, Paris, Martinon, 1858, p. 44-45

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