domingo, 2 de mayo de 2010
Monsieur Lewin
Et avec cet instinct de servilité basse qui couche la chienne lécheuse aux pieds de son maître, avec ce sentiment de respect et de crainte féminine pour l'autorité, d'où qu'elle vienne, toutes ces comédiennes, les novices et les arrivées, étaient
remplies d'admiration secrète pour le tenancier.
Au dehors, devant les artistes des autres théâtres, elles l'appelaient bien « le Requin », surnom qui lui était revenu, comme à la Comédie-Parisienne celui de l'Aquarium ; mais, sincèrement, elles raffolaient de lui et mendiaient son regard ; elles avaient plein la bouche de « Monsieur Lewin », en lui parlant, trop heureuses quand il penchait sur elles sa face soufflée d'abcès qui va crever, sa face aux yeux de perroquet, aux favoris pendants, qui grisonnaient sous la teinture fauve. Il n'avait qu'à lever le doigt au choix, comme dans le salon d'un bordel, quand le troupeau passait au foyer, pour que l'élue le suivit fièrement dans le cabinet
directorial, entre deux actes, comme il voudrait, là où il voudrait. Jeanne Durel, la Mascotte, rebelle aux hommes, ayant l'horreur physique du mâle, n'avait pas résisté à celui-ci. Elle avait été gagnée par la profondeur du vice qu'elle pressen-
tait en lui, pareille à ces névropathes affriandés par les odeurs infectes et qui s'y délectent. Au moment même, Marcus était adoré par Suzanne Dequercy, une comédienne intelligente et distinguée, férue pour lui d'une passion farouche. Elle passait les nuits dans la rue à guetter son amant et chaque jour suppliait à genoux qu'il la reçût. Il s'amusa à réunir chez soi les deux femmes, et Suzanne n'eut point le courage de s'en défendre.
A cinquante ans, une fringale inassouvie, toujours aiguisée, de la femme, brûlait le sang de Lewin. Le libertinage n'avait fait qu'enrager celte luxure furieuse, continuellement en quête d'objets nouveaux et de satisfactions inconnues. Dans
son désir de diriger un théâtre était entrée, en grande part, la joie d'avoir un troupeau de feuune à ses ordres. S» vocation de ruffian. s'exerçait sans
conteste sur ce bétail, chair exploitable selon sa caisse, chair malléable dans son lit. II permettait des entreteneurs à ses comédiennes, mais il se montrait violemment jaloux de leurs amours accidentelles, comme d^une atteinte à son bien. Si
l'amant heureux d'une d'elles se trouvait être quelque acteur de son théâtre, il le persécutait avec acharnement. A certaines heures, quand il tenait entre ses bras une de ces belles filles, ses sujettes, dans un brusque réveil de sa nature d'Oriental, il était tenaillé de l'envie de l'égorger, pour qu'elle ne profitât plus à aucun autre. Ce sadisme n'effrayait pas ses compagnes de plaisir; cette corruption exaspérée les amusait et les intéressait, et toutes s'étaient vautrées en d'indicibles trios sur le canapé de son cabinet. Il gardait toujours une raccoleuse pour ses menus. C'était Jeanne Durel, à ce moment-là.
Envers ses acteurs, il se montrait d'une grossièreté inouïe, n'ayant nulle gratitude de leurs efforts ni de leur succès. Mais lorsqu'un comédien avait la faveur du public, Marcus se faisait aimable, insinuant, flatteur, pour l'attirer dans sa
troupe; il savait caresser la vanité du sujet et jouait comme pas un Téternelle fable du corbeau et du renard. Aux périodes de renouvellement d'engagement, c'étaient les mômes grimaces pour le pensionnaire qu'il désirait enfermer de nouveau
dans un traité a gros dédit. Et les grands enfants niais, oubliant leurs griefs, les mécomptes de la veille, se laissaient prendre à ces câlineries de levantin, à ces paroles sucrées, comme l'alouette au miroir. Sitôt qu'il tenait son homme, le com-
père revenait à son naturel. Pour ceux à qui il avait été obligé de concéder une rémunération lucrative, il avait des regards terribles les jours de paiement. Il se tenait derrière le grillage de la caisse, à côté du comptable. Les salariés se pré-
sentaient en tremblant, cependant que ses yeux durs, tout chargés de haine, suivaient les billets qui disparaissaient vile dans les poches.
Un jour, Lebreton, le grand premier rôle, blessé dans son amour-propre à propos d'une dislribulion de pièce, avait osé entrer en lutte avec Lewin. Une violente dispute avait commencé sur la scène durant la répétition. « Requin, sale maquereau, » cria Lebreton. Alors, le directeur, saisissant le comédien au milieu du corps, l'avait précipité dans orches-
tre au risque de le tuer. Six semaines plus tard, tout était rentré dans l´ordre. Lebreton avait présenté ses excuses et était redevenu soumis et docile, entre tous.
H. bauer
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