"La lecture des traités médiévaux sur
l´intégrité et sur les propriétés du corps des ressuscités est (…)
particulièrement instructive. Le problème que les pères de l´Église devaient aborder
était celui de l´identité entre le corps ressuscité et celui qui était échu à
l´homme de son vivant. Une telle identité semblait en effet impliquer que toute
la matière qui avait appartenu au corps du mort dût ressusciter et reprendre sa
place dans l´organisme bienheureux. Mais c´est justement là que commençaient
les difficultés. Si, par exemple, un voleur –ultérieurement repenti et racheté-
avait été amputé d´une main, celle-ci devait-elle se recoller au corps au
moment de la résurrection ? Et –se demande Thomas d´Aquin- la côte d´Adam
dont le corps d´Ève a été formé ressuscitera-telle en celui-ci ou chez
Adam ? D´autre part, selon la science médiévale, les aliments se
transforment en chair vivante grâce à la digestion ; dans le cas d´un athropophage,
qui s´est nourri d´autres corps humains, cela devrait impliquer que dans la
résurreciton une même matière doive être réintégrée en plusieurs individus. Que
dire également des cheveux et des ongles ? Et du sperme, de la sueur, du
lait, des urines et autres sécrétions ? Si les intestins ressuscitent
–argumente un théologien-, ils devront ressusciter soit vides, soit pleins.
S´ils sont pleins, cela signifie que même les excréments ressusciteront ;
s´ils sont vides, on aura alors un organe dépourvu de toute foncion naturelle.
Le problème de l´identité et de
l´intégrité du corps ressuscité se change ainsi bien vite en celui de la
physiuologie de la vie bienheureuse. Comment devront être conçues les fonctions
vitales du corps paradisiaque ? Pour s´orienter sr un terrain si
accidenté, les pères disposaient d´un paradigme précieux : le corps
édénique d´Adam et d´Ève avant la chute. « Ce que Dieu a palnté dans les
délices de la béatitude et de la félicité éternelles », écrit Scot
Érigène, « est la nature humaine même créée à l´image de Dieu ». La
physiologie du corps bienheureux pouvait se présenter, dans cette perspective,
comme une restauration du corps édénique, archétype de la nature humaine
interrompue. Cela impliquait, cependant, des conséquences que les pères n´étaient
psa en mesure d´accepter intégralement Certes, comme l´avait expliqué Augustin,
la sexualité d´Adam avant la chute ne ressemblait pas à la nôtre, vu que ses
parties génitales pouvaient être mues volontairement comme les mains ou les
pieds, de sorte que l´union sexuelle pouvait avoir lieu sans qu´elle eût
aucunement besoin d´être aiguillonée par la concupiscence. Quant à la
nouttirure adamique, elle était infiniment plus noble que la nôtre, parce
qu´elle consistait seulement en fruits cuiellis sur les arbres du paradis. Mais
même ainsi, comment concevoir le rôle des parties génitales –ou même
sexuellement des aliments- chez les bienheureux ?
Si l´on admettait, en effet, que les
resssuscités utilisent la sexualité pour se reproduire et des aliments pour se
nourrir, cela impliquait que le nombre et la forme corporelle des hommes
s´accroîtraient ou varieraient à l´infini et qu´il existerait alors
d´innombrables bienheureux qui n´auraient pas vécu avant la résurreciton et
dont l´humanité serait par conséquent impossible à définir. Les deux
principales foncions de la vie animale –la nutrition et la génération- sont
affectées à la conservation de l´individu et de l´espèce ; mais, après la
résurrection, le genre humain atteindrait un nombre préétabli et, en absence de
la mort, ces deux fonctions deviendraient complètement inutiles. En outre, si
les ressuscités continuaient à manger et à se reproduire, le paradis ne serait
jamais assez grand non seulement pour les contenir tous, mais aussi pour
recueillir leurs excréments, au point de justifier l´invective ironique de
Guillaume de Paris : Maledicta Paradisus in qua tantum
cacatur ! »
G. Agamben
L´Ouvert. De l´homme et de l´animal
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