"Le rocker, citoyen d´Occident, porte avec lui la crise, toutes les crises du monde où il évolue, qu´il chante et musicalise : le ressentiment social, l´insuffisance des plaisirs, le désir deçu, l´amour en deçà des espérances, la haine de soi qu´engendre l´individualisme jamais accompli tout à fait, l´impossible solidarité entre les hommes, le croît de la violence, de la pollution, des dysfonctionnements en tous genres, la faillite de la société d´organisation. Dans son discours, cette conscience aiguë de l´imperfection de la civilisation se convertit en anathèmes contre le système, en appels à une consommation ici et maintenant, au nom de la compensation.
(...) Outre les paroles des chants, parfois d´un intense pouvoir poétique, cette rancoeur agressive se retrouve significativement affichée dans le nom même que se donnent les groupes punk rock: une apellation souvent porteuse de mise en garde, de menace ou d´intimidation. On en prendra pour preuve, véritable éloge de la radicalité, l´index onomastique que propose le site spécialisé PunkRock.org. (...) Le nom de maints groupes punk, de manière ouverte, fera fréquemment état d´un aveu d´impuissance devant l´état du monde, perçu comme ravagé, apocalyptique, perdu pour l´humanité: The Mummies, Extinction of Mankind, Doom, Lethal Rejection, Major Accident, Nuclear Assault, Napalm Death, Toxic, Siniestro Total, Tsunami...
Dans cet univers en bout de course, c´est logiquement que l´on convoque le thème de la fin et du triomphe de la mort: Amen, Ash, Funeral Dress, The Bones, Broken Bones, Negazzione, The Necronauts, Dead Boys, Dead City Rejects, THe Skulls... L´immaturité, de manière non moins logique, est proclamée et formellement assumée: Adolescents, The Automatics, Bad Brains, Brainless Wankers, The No Talents... Elle vient dire que ce monde, décidément, n´est pas à notre mesure, qu´il n´est pas fait pour nous, ou nous pour lui. La référence à l´immaturité, dans bien des cas, confinera à l´aveu de la mauvaise santé présumée ou du déphasage sanitaire: The Sick, Depression, Beer Drinking Fools... et plus encore, avec l´évocation d´une différence radicale qui éloigne le rocker de l´humanité standard: Beatnik Termites, Cockney Rejects, The Oppressed, The Forgotten, The Proletariat, The Bautiful Mistake, THe MOnsters, Bastard Squad, The Horrors, Psychotic REaction, The Meatmen, Electric Frankenstein...
Autre horizon d´attente implicite dans le nomo que se donne un nombre élevé de bands punks, le désordre public, la sécession politique: Against All Authority, Authority Zero, Bad Religion, Black Flag, Common Enemy, Conflict, Destroy Anything, Disorder, Dawn by Law, Savage Republic, Autopilot Of... tandis qu´essaime le préfixe "anti", ce sème par excellence de l´opposition: Anti Cimex, Anti-Clockwise, Antidote, Anti-Flag, Anti-Heros, ANti NOwhere League, Antiseen, Antiskeptic....
Autre citation récurrente, la violence physique exercée sur autrui, le crime même, que l´on semble admettre comme une nécessité au nom de la prophylaxie et d´inclinations prophétiques (tuez, le monde en ressortira plus propre): Agression, The Butcher, Driller Killer, Satanic Surfers, Klass Kiminale, Snuff, Los VIoladores.. et ce jusqu´à cet exemple singulier, celui du groupe Lee Harvey Oswald qui se baptise en s´appropriant le nom de l´assassin du président américain John Fitzgerald Kennedy.
Enfin, le trash, qui ajoute à l´atmosphère horrifique ou de décomposiiton générale dont le band punk veut être à la fois le témoin, le relais et le dénonciateur: Anal Cunt, Dirty Old Men, The Flesh Eaters, In The Shit...
(...) La brutalité se révèle à double entrée. y affirme-t-on sa violence en l´exposant comme un emblème bruyant, c´est parce que le réel est en soi violent mais aussi parce qu´il convient qu´il le soit encore plus. De la violence sule que l´on sème au gré des notes, des incendies seuls qu´on allume de son cri sortira le mieux, comme un phénix. Car le jour viendra après la nuit et si la nuit demeure, du moins le (punk) rocker aura-t-il fait preuve de lucidité. Le (punk) rock et une représentation, tout compte fait: représentation d´une réalité dure que la musique et le chant ne sauraient amender mais, du moins, qu´ils ont le pouvoir de citer à comparaîter, qu´ils s´offrent le droit de dénoncer, de conchier sur fond de guitares hurlantes. Est-ce à dire, tout bien pesé, une trahison concrète de la violence, une violence réduite dans ce cas à un simulacre, à un investissement tout au plus cathartique?"
Paul Ardenne, Extrême. Esthétiques de la limite dépassée (2006)
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