sábado, 25 de octubre de 2014

La fabrique de crimes




« Voici déjà plusieurs années que les fabricants de crimes ne livrent rien. Depuis que l’on a inventé le naturalisme et le réalisme, le public honnête autant qu’intelligent crève de faim, car, au dire des marchands, la France compte un ou deux millions de consommateurs qui ne veulent plus rien manger, sinon du crime.
Or, le théâtre ne donne plus que la gaudriole et l’opérette, abandonnant le mélodrame.
Une réaction était inévitable. Le crime va reprendre la hausse et faire prime. Aussi va-t-on voir des plumes délicates et vraiment françaises fermer leur écritoire élégante pour s’imbiber un peu de sang. La jeune génération va voir refleurir, sous d’autres noms, des usines d’épouvantables forfaits !
(…)nous proclamons dès le début de cette oeuvre extraordinaire, qu’on n’ira pas plus loin désormais dans la voie du crime à bon marché.
Nous avons rigoureusement établi nos calculs : la concurrence est impossible.(…) En moyenne, chaque chapitre contiendra, soixante-treize assassinats, exécutés avec soin, les uns frais, les autres ayant eu le temps d’acquérir, par le séjour des victimes à la cave ou dans la saumure, un degré de montant plus propre encore à émoustiller la gaieté des familles.
Les personnes studieuses qui cherchent des procédés peu connus pour détruire ou seulement estropier leurs semblables, trouveront ici cet article en abondance. Sur un travail de centralisation bien entendu, nous avons rassemblé les moyens les plus nouveaux. Soit qu’il s’agisse d’éventrer les petits enfants, d’étouffer les jeunes vierges sans défense, d’empailler les vieilles dames ou de désosser MM. les militaires, nous opérons nous-mêmes.
En un mot, doubler, tripler, centupler la consommation d’assassinats, si nécessaire à la santé de cette fin de siècle décadent, tel est le but que nous nous proposons. Nous eussions bien voulu coller sur toutes les murailles de la capitale une affiche en rapport avec l’estime que nous faisons de nous-même ; mais notre peu d’aisance s’y oppose et nous en sommes réduits à glisser ici le texte de cette affiche, tel que nous l’avons mûrement rédigé :
Succès, inouï, prodigieux, stupide !
La fabrique de crimes
AFFREUX ROMAN
Par un assassin
L’Europe attend l’apparition de cette oeuvre extravagante où l’intérêt concentré au-delà des bornes de l’épilepsie, incommode et atrophie le lecteur !
Tropmann était un polisson auprès de l’auteur qui exécute des prestiges supérieurs à ceux de
LÉOTARD.
100
feuilletons, à soixante-treize assassinats donnent un total superbe de
7.300 victimes
qui appartiennent a la France, comme cela se doit dans un roman national. Afin de ne pas tromper les cinq parties du monde, on reprendra, avec une perte insignifiante, les chapitres qui ne contiendront pas la quantité voulue de Monstruosités coupables, au nombre desquelles, ne seront pas comptés les vols, viols, substitutions d’enfants, faux en écriture privée ou authentique, détournements de mineures, effractions, escalades, abus de confiance, bris de serrures, fraudes, escroqueries, captations, vente à faux poids, ni même les
ATTENTATS À LA PUDEUR,
ces différents crimes et délits se trouvant semés à pleines mains dans cette oeuvre sans précédent, saisissante, repoussante, renversante, étourdissante, incisive, convulsive, véritable, incroyable, effroyable, monumentale, sépulcrale, audacieuse, furieuse et monstrueuse,
en un mot,
CONTRE NATURE,
après laquelle, rien n’étant plus possible, pas même la
Putréfaction avancée,
il faudra
Tirer l’échelle ! ! !"

Paul Féval, La fabrique de crimes

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