« Voici déjà plusieurs années que les
fabricants de crimes ne livrent rien. Depuis que l’on a inventé le naturalisme
et le réalisme, le public honnête autant qu’intelligent crève de faim, car, au
dire des marchands, la France compte un ou deux millions de consommateurs qui
ne veulent plus rien manger, sinon du crime.
Or, le théâtre ne donne plus que la gaudriole et
l’opérette, abandonnant le mélodrame.
Une réaction était inévitable.
Le crime va reprendre la hausse et faire prime. Aussi va-t-on voir des plumes
délicates et vraiment françaises fermer leur écritoire élégante pour s’imbiber
un peu de sang. La jeune génération va voir refleurir, sous d’autres noms, des
usines d’épouvantables forfaits !
(…)nous proclamons
dès le début de cette oeuvre extraordinaire, qu’on n’ira pas plus loin
désormais dans la voie du crime à bon marché.
Nous avons
rigoureusement établi nos calculs : la concurrence est impossible.(…) En moyenne,
chaque chapitre contiendra, soixante-treize
assassinats, exécutés avec soin, les uns frais, les autres ayant eu le temps
d’acquérir, par le séjour des victimes à la cave ou dans la saumure, un degré
de montant plus propre encore à émoustiller la gaieté des familles.
Les personnes studieuses qui cherchent des procédés
peu connus pour détruire ou seulement estropier leurs semblables, trouveront
ici cet article en abondance. Sur un travail de centralisation bien entendu,
nous avons rassemblé les moyens les plus nouveaux. Soit qu’il s’agisse
d’éventrer les petits enfants, d’étouffer les jeunes vierges sans défense,
d’empailler les vieilles dames ou de désosser MM. les militaires, nous opérons
nous-mêmes.
En un mot,
doubler, tripler, centupler la consommation d’assassinats, si nécessaire à la
santé de cette fin de siècle décadent, tel est le but que nous nous proposons.
Nous eussions bien voulu coller sur toutes les murailles de la capitale une
affiche en rapport avec l’estime que nous faisons de nous-même ; mais notre peu
d’aisance s’y oppose et nous en sommes réduits à glisser ici le texte de cette
affiche, tel que nous l’avons mûrement rédigé :
Succès, inouï, prodigieux, stupide !
La fabrique de crimes
AFFREUX ROMAN
Par un assassin
L’Europe attend l’apparition de cette oeuvre extravagante où l’intérêt concentré au-delà
des bornes de l’épilepsie, incommode et atrophie le lecteur !
Tropmann était un polisson auprès de l’auteur qui exécute des prestiges supérieurs
à ceux de
LÉOTARD.
100
feuilletons, à soixante-treize assassinats donnent
un total superbe de
7.300 victimes
qui appartiennent a la France, comme cela se
doit dans un roman national. Afin de ne pas tromper les cinq parties
du monde, on reprendra, avec une perte insignifiante, les chapitres qui ne contiendront
pas la quantité voulue de Monstruosités coupables, au nombre desquelles,
ne seront pas comptés les vols, viols, substitutions d’enfants, faux en écriture
privée ou authentique, détournements de mineures, effractions, escalades, abus
de confiance, bris de serrures, fraudes, escroqueries, captations, vente à faux
poids, ni même les
ATTENTATS À LA
PUDEUR,
ces différents crimes et délits se trouvant semés à pleines mains dans
cette oeuvre sans précédent, saisissante, repoussante, renversante,
étourdissante, incisive, convulsive, véritable, incroyable, effroyable,
monumentale, sépulcrale, audacieuse, furieuse et monstrueuse,
en un mot,
CONTRE
NATURE,
après laquelle, rien n’étant plus possible, pas même la
Putréfaction
avancée,
il faudra
Tirer l’échelle ! ! !"
Paul Féval, La fabrique de crimes
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