Sous l'Empire,
Fouché demanda un jour audience à Napoléon et lui dit : « Un fait bien étrange
se passe dans la rue Saint-Éloi, hôtel Pepin; il est arrivé là un individu
nommé Rafin. Ses papiers, remis au propriétaire, ont paru suspects; on a
environné cet homme d'une surveillance spéciale. Le soir, il sort de l'hôtel à
onze heures précises, prend souvent un fiacre, d'autres fois va à pied,
toujours vers le même lieu, le cimetière du Père-Lachaise, et chaque fois qu'il
y arrive, mes agents le perdent de vue; mais, à quatre heures du matin, on
l'aperçoit aux environs de ce cimetière; il reprend le chemin de l'hôtel Pepin.
Ce manège répété a excité la surprise de mes hommes. On suit Rafin, presque pas
à pas; mais, aux approches du cimetière, le moment arrive toujours où on le
perd de vue. On a posté du monde dans l'intérieur : ceux-là n'ont rien
découvert. - Vous me dites là, duc d'Otrante, une anecdote fantasmagorique, dit
l'empereur. Est-ce un vampire? - Sire, ils sont rares en France, au xixe
siècle... »
Quelque temps plus tard, Fouché raconta la fin de l'histoire à
l'ancien consul, Cambacérès : « Monseigneur, nous ne sommes pas au XIXe siècle,
mais aux IXe, Xe, XIe ou plus tôt, il y a des prestidigitateurs habiles... Une
nuit, on arrête Rafin à cent pas du Père-Lachaise. D'un coup de poing, il
renverse dans la boue deux de mes gaillards les plus solides, qui ont prétendu
avoir été frappés, non par une main d'homme, mais par une barre de fer... il se
calme, exhibe des papiers convenables; on feint d'être satisfait; mais des
camarades le suivent et le perdent à point nommé. A quatre heures, on l'arrête;
on le fouille; on retrouve sur lui les pièces de tantôt et rien de suspect; on
presse la recherche, car ceux qu'on en a chargés sont, quoique peu délicats,
sur le point d'être suffoqués par l'odeur infecte qui s'exhale de toute la
personne de Rafin.
« Deux jours se passent, lui continue à faire des visites à
une jeune et jolie couturière; elle vivait paisiblement, fraîche, rieuse, et
depuis que Rafin la fréquente, elle devient pâle, maigre, maladive. Dans une
autre maison, une femme perd ses couleurs et son embonpoint. Le troisième jour,
un jeune homme arrive à l'hôtel, demande Rafin... l'appelle " assassin
", " monstre ", tire un couteau et lui porte un coup à l'aine,
mais un seul, rien qu'un; quatre témoins l'ont vu.
« Rafin tombe roide mort...
On envoie chercher un chirurgien et la police; on déshabille Rafin, et l'on
voit le sang jaillir par six plaies; deux à la gorge, deux à l'aine droite, une
dans le bas-ventre et l'autre à la cuisse... On s'est mis à la recherche de
l'assassin, on l'a trouvé. Voici ce qui en était : ce jeune homme aimait une
demoiselle, Rafin se place entre eux, et est préféré; aussitôt la pauvre
fille perd la santé, elle se plaint de cauchemars affreux, que son sang est
sucé nocturnement par un être hideux qui ressemble à Rafin...
« On me soumet
l'affaire, elle me paraît si bizarre, que je fais relâcher le jeune homme, surtout
lorsqu'un incident complique la situation. Le corps de Rafin avait été déposé
dans une salle basse, ... le mort a disparu... Au bout de dix semaines, qu'on
juge de l'effroi du portier de l'hôtel Pepin, et de tout le voisinage,
lorsqu'on voit arriver Rafin, qui froidement réclame sa clef et ses
vêtements.... Sa réponse est brève et simple : des jeunes étudiants ont volé
son cadavre pour le disséquer; ils y ont surpris un reste de vie; ils l'ont
soigné... Tout cela, sans doute, est plausible, on s'en contente, hors moi. Je
donne mes ordres, cet homme est arrêté, conduit dans un cachot; je m'y rends;
je le pique avec un instrument de chirurgie qui ne peut faire que peu de mal; à
peine la première goutte de sang a jailli, que les six blessures antérieures se
rouvrent, tous les secours sont inutiles, Rafin meurt de nouveau.
« Nous étions
onze personnes présentes à cette expérience remarquable; notre stupéfaction
ne peut être comprise. Nous sommes au xixe siècle, et il y a devant nous un
vampire, un boucolâtre. Ce fait incroyable confond et MM. Cuvier, et Fourcroy,
et Cadet, et Portai, savants de première classe, que j'avais appelés. Ils ne
virent là qu'un tour de passe-passe, qu'une rouerie de police devant
l'autorité, une manière neuve de se débarrasser d'un individu dangereux; ils
ont cru au poison, pas au sortilège, et le silence qu'ils gardent provient
moins de leur parole engagée que du résultat d'une scène dont ils voudraient ne
pas avoir été les spectateurs... Je fis constater le décès, on entoura le corps
mort d'une multitude de linges, on le mit dans une bière de fer, on lui coupa
la tête, les mains, les pieds, tout cela fut enseveli ensemble. Je fis exhumer
au bout d'un an, on trouva les diverses parties en putréfaction avancée, aucune
n'y manquait. »
E.-L. de Lamothe-Langon, Les Après-dîners de S A S. Cambacérès..., I
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