domingo, 10 de octubre de 2010
Lord Patchogue
Quand la fatigue aura gagné Lord Patchogue dans son poste d’observation, avec la certitude de ne découvrir rien qu’une confirmation, il se retourne ; un miroir est derrière lui et c’est encore Lord Patchogue qui se regarde. Chacun dit à l’autre, dans un effroi qui s’augmente à se contempler : « Je suis un homme qui cherche à ne pas mourir » — et pour la seconde fois, Lord Patchogue s’élance à travers la glace. Fracas, éclats de verre. Lord Patchogue est debout en face d’un nouveau miroir, en face de Lord Patchogue. Au front, la coupure saigne à nouveau. Lord Patchogue répète : « Je suis un homme qui cherche à ne pas mourir », et quand il traverse le troisième miroir, au milieu d’un bruit maintenant familier, il sait qu’il rencontrera Lord Patchogue dont le front saignera davantage dans le quatrième miroir qui lui dira : « Je suis un homme qui cherche à ne pas mourir ». Il le sait maintenant, il ne pourra que casser du verre ; l’œil qui regarde l’œil qui regarde l’œil qui regarde... L’homme qui cherche à ne pas mourir est lancé ; il marche automatiquement, sans curiosité, sans « affectation » parce qu’il ne peut pas faire autrement ; à chaque pas, un nouveau miroir vole en éclats ; il marche environné de ce fracas qui est douceur à l’oreille du condamné. À chaque miroir, il scande : « ... l’œil — qui regarde l’œil — qui regarde l’œil — qui reg... » Lord Patchogue s’est arrêté. Le plancher n’est qu’un miroir en morceaux, c’est-à-dire murs et plafond. Joli paysage : murs et plafond se logent comme ils peuvent dans les débris de glace.
Le plan de Lord Patchogue est fait. Tant pis pour le premier qui se présentera. Attente. Enfin un bruit de pas qui s’approchent du chasseur en cage. Il y a quelqu’un dans la chambre, quelqu’un qui reste éloigné du miroir. Tout de même l’appel du miroir serait-il en vain ? Non, le voici qui s’avance... Malheur, c’est une femme !
— C’est de la triche ! Va-t’en, sucrée ! Au suivant !
Elle se mire, professionnelle. Désemparé, passif, Lord Patchogue lui renvoie ce qu’elle demande. Quel amour, quels amants, quels quels... La jeune fille a de la complaisance. La voici qui passe ses mains sur ses seins. Lord Patchogue, docilement, accompagne ses gestes. Il ne lui faut pas moins que le contact sous ses doigts de deux jeunes globes étrangers pour le rappeler à lui-même. Par-dessous sa chemise, ses doigts restent attachés avec précaution à une gorge de femme. Comme elle respire, il la sent se gonfler, il apprend sa tiédeur. Pour ajuster son bas, elle découvre une jambe avec cette espèce de précision anonyme que donne la certitude d’être à l’abri de toute surveillance. Lord Patchogue, obéissant aux vœux inexprimés, lui accorde une jambe d’amour. La transformation s’arrête-t-elle au buste, ou bien... Une inquiétude burlesque saisit Lord Patchogue, si impérieuse est la superstition de la virilité, qu’au lieu d’espérer l’acquisition d’un nouveau sexe, Lord Patchogue, d’un geste hâtif mais exemplaire, s’assure qu’il n’a pas cessé d’être un homme. Comme il s’apprête à respirer, un cri en face de lui... Car, hélas, la jeune fille, à son tour passive, pouvait-elle faire moins que reproduire le geste de Lord Patchogue. Et quelle découverte ! Des attributs que seul le mariage devait lui dénoncer. Elle a beau s’enfuir, la malheureuse, vers quels rêves...
J. RIGAUT
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