A Marly-le-Roi, tout le monde connaît le Palais
des Singes ..
Le
Palais des Singes ?
mais oui ! ou,
si vous préférez,
la villa X***,
une des plus coquettes
et l’une des mieux situées à l’entrée de
la forêt. La villa X*** appartient à Mme
C…, une des intimes de notre amie Mme Lucy X*** ; dans le parc de sa villa,
Mme C… a
fait installer une
magnifique serre ; dans
cette serre, une immense
cage, et, dans cette cage, elle a introduit quantité de singes ; Mme C… prend
elle-même soin de ses pensionnaires, leur donne à manger et à boire,
les lave, les
peigne, les dorlotte, les
laisse monter sur ses genoux,
sur ses épaules, les caresse, les embrasse.
J’ai oublié de dire que, parmi ces singes, il
n’y a point de guenons. Et, si j’ajoutais que ces animaux reçoivent une nourriture
fortement épicée, vous les plaindriez, probablement.
Vous n’auriez pas tort !
Je les plains aussi depuis que j’ai été invité
à certaine garden-party chez Mme C…
Le goûter était servi dans le Palais des
Singes .. Parmi les plantes extraordinaires et
les fleurs phénoménales,
des jeunes femmes,
aux robes claires,
allaient et venaient, riant aux éclats, babillant,
potinant joyeusement.
Dans la
cage, les singes
s’agitaient furieusement, montant, descendant, sautant, courant ;
leurs yeux brillaient
d’une étrange flamme,
leur corps tremblait,
leurs doigts se crispaient.
– Est-ce la vue, demandai-je . Mme C…, des
friandises étalées sur ces tables qui les
excite ainsi ? Ou bien, l’heure de leur repas approche-t-elle ?
– Ce n’est vraiment
pas la peine,
cher monsieur, de fréquenter
chez les détraquées depuis
aussi longtemps que
vous le faites
pour poser de
pareilles questions ! Vous demandez ce qui excite mes singes ? Suivez-moi,
vous allez voir.
Mme C…
appela l’une de
ses amies, et
toutes deux se plantèrent le
long de la cage. En
un clin d’oeil,
les bêtes se
massèrent devant elles,
se bousculant effroyablement, se
battant sauvagement, chacune voulant la place la plus proche des femmes : en vérité,
elles semblaient furieuses, affolées, se déchiraient à coups d’ongles,
faisaient entendre de bizarres cris de rage.
– Vous demandez ce qui les excite ? répéta la
maîtresse de maison. Regardez !Les
jeunes femmes dégrafèrent
leur chemisette et l’enlevèrent, leur
buste émergea,
magnifiquement blanc, des
dentelles de la
chemise et du
corset, les seins dardèrent leurs
pointes brunes, cependant que les bras, se posant derrière la tête, découvraient
les aisselles.
Dans la cage, d’abord, c’avait été un moment
de stupeur, l’émotion avait paralysé les singes.
Bientôt, la fureur
avait redoublé de
violence, était devenue terrible, presque effrayante :
empoignant les barreaux, ils
essayaient de les
arracher, les tiraient, s’affolaient
de plus en plus.
Les jeunes femmes se tordaient de rire. Toutes
s’étaient rapprochées, examinant avidement le désespoir amoureux des bêtes.
Puis, elles imitèrent Mme C… et son amie,
enlevèrent leurs chemisettes. De tous côtés, vers la cage, des seins se dressèrent
fièrement !
Les pauvres bêtes s’élanaient au hasard,
espérant, sans doute, trouver une issue.
Elles faisaient pitié.
– Ouvrez-leur, implorai-je.
– Ah bien ! ce serait du propre !
La femme, décidément, sait atteindre le
dernier degré de la cruauté ! Les invitées, maintenant, faisaient
de l’oeil aux
singes. Mais oui ! en leur
honneur, elles allumaient le regard, montraient
deux rangées de
dents étincelantes de blancheur, entre lesquelles passait le
petit bout rose de la langue, elles dansaient gracieusement, ondulaient,
prenaient les poses
les plus suggestives,
exhibaient, parmi des nuages de batiste, une jambe délicieusement moulée
en un bas de soie noire transparente !
Et les jupes tombèrent. Et les jupons ! et
les corsets !
Mme C… apparut nue !
– Comprenez-vous, s’exclama-t-elle, ce qui
excite mes singes !
– Avouez donc que c’est un prêt. pour un
rendu, qu’ils vous excitent aussi !
…
Je continuerai mes histoires de
singes par le récit d’un
souper auquel je fus
invité il y a quelques mois.
Le souper eut lieu dans un des grands
restaurants de l’avenue de l’Opéra.
Les convives étaient : côté des dames, une
demi-mondaine qui se montrait alors à l’Olympia ; une autre demi-mondaine, bien
connue au pavillon d’Armenonville, et qui
sera peut-être bientôt princesse…
en Autriche ; miss W… qui, chaque matin,
au
Bois, monte de
si beaux chevaux ;
Mme C…, la
propriétaire du Palais
des Singes, et une
autre détraquée, la femme aux bêtes ., dont je reparlerai ; côté des hommes,
un littérateur, original
et affectant des
moeurs étranges, appartenant à
un grand quotidien
du matin ; Consul III, l’illustre
singe qui, récemment, révolutionna
Paris ; son barnum, et votre serviteur.
Les femmes étaient en robe décolletée ; les
hommes, y compris Consul, en habit.
D’abord, le souper s’annonça a assez triste :
nous ne nous connaissions pas tous, il fallait
rompre la glace.
Et puis, les
regards se portaient
vers le héros de
la fête, chacun l’observait
curieusement. Lui, nullement gêné., mangeait fort galamment, imitant ponctuellement les
gestes de son
maître, plus préoccupé de
ne point gâter la
somptueuse ordonnance du
couvert que de s’attarder aux
coups d’oeil des détraquées.
Au
reste, Consul ne
se méprenait certainement
pas à la flatteuse
curiosité de l’entourage : de
temps en temps,
il se mirait
complaisamment dans la
glace servant de chemin
de table, et
ne paraissait point
se trouver dans
ce cadre luxueux, parmi
ces femmes endiamantées,
cette argenterie magnifique, ce
linge enrubanné, cette table fleurie.
Cependant, il n’avait pas l’air d’avoir envie
de marcher .. En vain, ses voisines, enhardies, lui donnaient-elles de leurs
mains blanches quelque friandise, frôlant
au passage son
poignet velu ; en
vain, un bras
nu se levait-il
derrière la tête, d.couvrant l’aisselle, sous prétexte de
remettre à sa place une mêche folle de la nuque, Consul demeurait impassible.
– Autant un homme ! fit l’une. Il est aussi
vanné !
Nos détraquées ne faisaient pas leurs frais. Avec
un singe, ce doit être vexant !
Mais,
elles ne se
tenaient pas encore
pour battues, bien
que les hommes
leur répétassent sur tous les
tons :
– Consul n’a pas envie de marcher !
Une
.paulette se dénoua,
une épaule apparut
suavement ronde. Une
autre épaulette glissa, un sein se montra, timide, d’abord, puis,
orgueilleux. Bientôt, l’on vit un autre
sein, deux autres
seins, trois autres
seins qui se
penchèrent vers Consul,
lequel, avec la
gravité d’un sénateur,
les regarda, et
se remit à manger, indifférent.
– Puisqu’on vous dit qu’il n’a pas envie de
marcher !
– Marchera !
– Marchera pas !
Mme C… proposera
de lui donner
un peu de
champagne. A quoi
le barnum s’opposa
énergiquement. Voyez-vous, le
lendemain, au moment
d’entrer en scène, Consul saoul, saoul comme une simple
chanteuse d’Opéra-Comique ?
Alors, Mme C…, héroïque, et, peut-être aussi
profondément vexée, s’approcha du singe, passa ses doigts effilés dans la
chevelure de la bête, avança sa gorge nue.
Consul, hélas ! refusa encore de marcher ! Il
bâilla, il avait envie de dormir !
– Il ne marchera pas !
- Eh ! m… pour
lui ! s’exclama, drôlement, avec son accent anglais, mis W…
René Schwaeblé, . Les détraquées de Paris, Etude de
moeurs contemporaines .. Nouvelle Edition, Daragon libraire-.diteur, 1910
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