martes, 16 de noviembre de 2010

Le bon amant



Le bon amant

À Rachilde, auteur de Queue de poisson.


En fumant des cigarettes, il l’attendait sur le balcon. Il faisait un temps froid et sec comme un coup de trique, mais il était tellement comburé par la fièvre de l’attente, que la température lui importait peu.
Enfin une voiture s’arrêta. Une masse noire sur le fond gris-perle du trottoir passa comme un éclair et s’engouffra dans la porte.
C’était elle.
Un peu suffoquée par les deux escaliers qu’elle venait de grimper comme une folle, elle entra, et fut aussitôt gloutonnement baisée sur ses petites mains et ses grandes paupières.
Puis alors il pensa à la regarder.
Elle était vraiment charmante, d’un charme troublant et inoubliable.
Sa petite tête fine et brune, émergeant des fourrures, était coiffée d’un chapeau tyrolien en feutre gris, de jeune garçon. Les bords en étaient rabattus très bas sur le front. Ses grands yeux paraissaient avoir de plus longs regards qu’à l’ordinaire, et elle s’était fait, ce soir-là, de mignons accroche-coeur, non pas à la manière des Espagnoles, mais de vraies petites guiches de jeune dos.
Après les premières effusions, quand elle se fut désemmitouflée :
– Mais il fait un froid de loup chez vous, mon cher !
Alors, très désespéré, il chercha fébrilement chez lui de vagues combustibles, mais en vain.
Vivant constamment au dehors, il avait toujours négligé ce détail de la vie domestique.
Alors elle devint furieuse et cruelle.
– Mais c’est idiot, mon cher ! Brûlez vos chaises, mais de grâce faites du feu. J’ai les pieds gelés.
Il refusa net. Son mobilier lui venait de l’héritage de sa mère, et le brûler lui paraissait un odieux sacrilège.
Il prit un moyen terme.
Il la fit se déshabiller et coucher.
Lui-même se dévêtit complètement.
Avec un canif qu’il avait préalablement bien affilé, il s’ouvrit le ventre verticalement, du nombril au pubis, en prenant soin que la peau seule fût coupée.
Elle, un peu étonnée, le regardait faire, ne sachant où il voulait en venir.
Puis, tout à coup, comprenant son idée, elle eut un éclat de rire et une bonne parole.
– Ah ! ça c’est gentil, mon cher.
L’opération était finie.
Comprimant de ses deux mains les intestins qui s’échappaient, il se coucha.
Elle, très amusée de ce jeu, enfouit ses petits petons roses dans la masse irisée des entrailles fumantes, et poussa un petit cri.
Elle n’aurait jamais cru que ce fût si chaud là-dedans.
Lui, de son côté, souffrit cruellement de ce contact très froid, mais l’idée qu’elle était bien le réconforta, et ils passèrent ainsi la nuit.
Bien qu’elle fût réchauffée depuis longtemps, elle laissa ses pieds dans le ventre de son ami.
Et c’était un spectacle adorable de voir ces petits pieds bien cambrés, dont la glaucité verdâtre des intestins faisait valoir la roseur exquise.
Au matin, il était un peu fatigué, et même de légères coliques le tourmentaient.
Mais comme il fut délicieusement récompensé !
Elle voulut absolument recoudre elle-même cette chaufferette physiologique.
Comme une bonne petite femme de ménage, elle descendit, en cheveux, acheter une belle aiguille d’acier et de la jolie soie verte.
Puis, avec mille précautions, comprimant de sa petite main gauche les intestins qui ne demandaient qu’à déborder, elle recousit de sa petite main droite les deux bords de la plaie de son bon ami.
À tous les deux, cette nuit est restée comme leur meilleur souvenir.


A. Allais

No hay comentarios:

Publicar un comentario