viernes, 14 de junio de 2013

Les Fleurs vénéneuses

 vincentblack:

Stanislas de Guaita - Le Serpent de la Genèse: Le Temple de Satan

LES FLEURS VENENEUSES

Néfastes végétaux au port majestueux,
Vos graines ont germé par une nuit maudite,
Sous l'oeil d'un astre fauve, hostile et monstrueux.
Vos noms même, suspects au sage qui médite,
Furent bannis du Verbe, en ces temps anciens
Où savoir vos vertus était chose interdite.
Des Sagas de Colchide et des Egyptiens
Cueillaient, lors, sous l'effroi de la lune sanglante,
Votre racine, chère aux seuls magiciens.
Qui, mariant la Sève acerbe d'une plante
Avec la lymphe morte extraite des os blancs,
Sous l'incantation modulée à voix lente,.
Distillaient, vers minuit, ces philtres accablants
Par quoi la chasteté des vierges de la Grèce Croulait,
offrant à nu le trésor des beaux flancs.
Les hommes, ballottés au vent de la détresse,
Sur l'océan du Spleen en tous temps, en tous lieux -
Fleurs fatales, ont bu votre suc, dont l'ivresse
Les a guidés au port du trépas glorieux!...
Ceux-là vous ont chéris, O dictames tragiques,
Que gorgeait le dédain des hommes et des dieux. -
Mais Nous, qui redoutons les Puissances magiques
et l'occulte Science, et l'Ombre, et la Fureur
De vos effluves noirs puissamment léthargiques,
Nous ne parlons de vous qu'en frissonnant d'horreur!
Pourtant, Fleurs dangereuses,
Vous êtes généreuses
Parfois – et guérissez
Les coeurs blessés!
Douce est votre caresse
Aux parias, qu'oppresse
Ce qu'on ne peut bannir :
Le Souvenir!Pavot blanc de l'Asie,
Quand la froide Aspasie
Fait ramper l'un de nous
A ses genoux,
Ton Opium, ô plante,
Lui rend l'âme indolente,
Et, contre le chagrin,
Toute d'airain,
Et ta Morphine amère
Calme la pauvre mère
Que l'obsession mord
D'un enfant mort...
Au monstre solitaire
Qui se cache sous terre,
Tout coeur demeurant sourd
A son amour,
Divin Haschich, tu livres
Les belles houris ivres
- Aux lèvres de corail
- De ton sérail.
Salut, Flore équivoque!
L'infortuné t'invoque:
Dompteuses de douleurs,
Salut, ô fleurs!
Soyez bénis, en somme,
Sucs qui versez à l'homme
Au visage pâli
Le calme oubli!

Stanislas de Guaita (également connu comme Lugubric de Pravaz, mort en 1897 à 36 ans)

Rosa Mystica

jueves, 6 de junio de 2013

Un péché de luxe

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"Dans la plupart des cas, la morphinomanie est un mal réservé, comme la goutte, aux heureux du monde. C’est un péché de luxe. À part les victimes du bistouri, les opérées des gynécologues, les unsexeds qui traînent leur blessure éternelle ; à part les maniaques professionnels : médecins, apothicaires, sages-femmes, le principal effectif des toxicomanes se recrute dans le monde salarié de la galanterie. Les belles-de-nuit, leurs stupides clients, qui ne satisfont plus les vins ruineux, les liqueurs de flamme, condimentent de poisons leurs mornes caravanes, pratiquent un régime d’alcaloïdes : morphine, cocaïne, héroïne, plus ou moins soutenu.

Le docteur Georges Dumas, soupant au café Sylvain, près d’un morphinomane en « état de besoin », a vu l’une des péripatéticiennes jouxtantes à ce prostibule se lever après avoir diagnostiqué d’un œil expert l’état du malade, et lui proposer une piqûre, avec le même air dont entre fumeurs on s’offre du tabac.
Maurice Talmeyr (Les Possédés de la morphine) cite le cas d’une pierreuse qui, par dégoût des obligations professionnelles, recourait à la Pravaz. Premier que de subir le client, elle s’injectait quelques centigrammes, fermait les paupières ; la demi-anesthésie morphinique lui rendait presque tolérable son esclavage et l’odieux labeur de chaque soir.

Il appartenait aussi au monde ignorant et vaniteux de la race fashionable, ce fils de banquier mort avec son amie, dans une hideuse maison meublée du faubourg Saint-Honoré, après huit jours de morphinisation ininterrompue. Il avait pris goût à ces redoutables pratiques dans une maison de santé où sa famille l’avait interné par esprit d’économie !

Elle menait la vie à grandes guides, cette Loris B… qui, de Naples à Pétersbourg, de Londres à Constantinople, dissipa vingt fortunes en princières orgies. Ayant épuisé les inventions d’une débauche capable de satisfaire Julie ou Messaline, elle se tourna vers les plantes vénéneuses, fut en peu de temps une toxicomane de la grande portion. À l’état normal, prodigue, payant ses plaisirs avec une libéralité d’impératrice, elle devenait, sous l’influence du pavot, une maîtresse de maison économe jusqu’à la pingrerie, épluchant les factures, grondant ses domestiques pour le plus minime débours, lésinant sur le blanchissage, attentive à la desserte, râleuse, en un mot, comme la dernière des bourgeoises. En « état de besoin », sa complexion véritable reprenait le dessus. Elle gaspillait de plus belle et se donnait à prix d’or les moins honnêtes distractions.

Il s’en faut de beaucoup, néanmoins, que tous les morphinomanes soient membres des cercles aristocratiques, habitués des grands bars, riches demi-mondaines comme cette Loris B… ou bien encore comme Mlle D…, « la reine du Sahara » dont M. Edgard Bérillon a publié l’observation (Revue de l’hypnotisme, juillet-octobre 1899).

Le docteur Griffon, médecin à la Santé, a, dans le courant de janvier 1901, traité le peintre en bâtiment Namêche qui, après avoir communiqué le goût de la morphine à sa compagne, ainsi qu’aux enfants de la dame, volait aux pharmaciens l’objet de ses désirs par un procédé original dont il fut, croyons-nous, l’inventeur.

Quelques instants avant l’heure où les marchands de pilules mettent leurs volets, s’étant assuré au préalable que la victime de son choix était bien seule et gardait la boutique, Namêche lui mandait sa pseudo-belle-fille nantie d’une fausse prescription ordonnant plusieurs grammes du chlorhydrate impatiemment attendu. Quand l’homme de l’art, ayant effectué sa préparation, n’avait plus qu’à boucher la fiole, Namêche, qui le guettait sur le trottoir, pénétrait dans l’officine en coup de vent. Il demandait, à la hâte, une bouteille d’eau minérale : Vichy, Contrexéville, ce qui, dans la plupart des cas, obligeait le pharmacien à quitter son comptoir pour descendre à la cave.

Pendant ce temps, l’homme transvasait la solution de morphine dans un récipient à large ouverture qu’il cachait sous sa vareuse et lui substituait de l’eau claire apportée à cet effet. Puis, sous couleur qu’il avait oublié sa bourse, il partait sans prendre l’eau minérale. Après quoi, la fillette ne tardait guère à le suivre, en invoquant le premier prétexte venu. Ce travail compliqué lui rendait la vie assez incommode en Belgique, — il était de Namur. Comme tous les inventeurs plus grands que leur destinée, il vint demander un refuge à Paris, où, sans la clairvoyance d’un potard inaccessible à la fantaisie, il cueillerait sans doute encore des pavots dans chacun des vingt arrondissements.


La morphine compte sous ses étendards moins de poètes que l’alcool. À peine Édouard Dubus et Stanislas de Guaita, lorsque la « Muse verte » s’enorgueillit de Verlaine, de Musset, d’Edgar Poë et de tant d’illustres envoûtés. D’Anacréon à Litaïpé, d’Horace à Chaulieu, de Khayyam à Béranger, tous les faiseurs d’odelettes ont dit le charme de la coupe et les festins couronnés de verveine, cependant Baudelaire, en même temps qu’il célébrait l’« âme du vin », montrait les

…hardis amants de la démence,
Fuyant le grand troupeau parqué dans le destin.
Et se réfugiant dans l’opium immense.

Après lui, Guaita, dont les poèmes inconnus étincellent de beautés, a, seul avec Jacques d’Adelsward, chanté, en France, un hymne aux herbes vénéneuses :


Salut, flore équivoque !
L’infortuné t’invoque.
Dompteuses des douleurs,
Salut, ô fleurs !
Soyez bénis, en somme,
Sucs, qui versez à l’homme
Au visage pâli
Le calme oubli. [1]

En revanche, les hommes politiques recourent fréquemment au coup de fouet de la piqûre. Le docteur Louveau, en 1887, au moment de l’affaire Schnœbelé, a vu, dans les jardins de l’Élysée, le général Boulanger se faire une piqûre. Le prince de Bismarck ne parlait au Reichstag qu’après s’être injecté une assez forte dose. Vers le soir de sa vie, il usa largement de la drogue favorite.

L’acteur Marais, morphinomane enragé, mourut en pleine démence, vers la quarantième année. Il se croyait en vérité Michel Strogoff. Il se prenait de querelle dans les rues avec des passants inoffensifs, « pour Dieu, pour le tzar, pour la patrie » ! Le beau Damala ne pouvait jouer La Dame aux camélias sans se faire donner, à chaque entracte, plusieurs grammes de morphine. Guy de Maupassant, morphino-éthéro-cocaïnomane, combinait les divagations de la paralysie générale avec les délires toxiques, dans la maison de santé où finit misérablement une vie à ses débuts trop heureuse. Enfin, on atteste, chez les gens bien informés, que le docteur Babinski injectait quelques centigrammes de morphine, par vingt-quatre heures, à l’illustre Charcot, atteint, pendant les derniers mois de sa vie, d’un lumbago chronique. Alphonse Daudet, que les douleurs fulgurantes du tabès excruciaient nuit et jour, fut obligé de recourir au poison dont il avait, dans l’Évangéliste, analysé avec tant d’élégance et de précision l’influence endormeuse.

Laurent Tailhade
La Noire Idole

Ode à Coco

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L'ode à Coco

Coco ! perroquet vert de concierge podagre,
Sur un ventre juché, ses fielleux monologues
Excitant aux abois la colère du dogue,
Fait surgir un galop de zèbres et d’onagres.

Cauchemar, son bec noir plongea dans un crâne
Et deux grains de soleil sous l’écorce paupière
Saigneront dans la nuit sur un édredon blanc.

L’amour d’une bigote a perverti ton cœur ;
Jadis gonflant col ainsi qu’un tourtereau,
Coco ! tu modulais au ciel de l’équateur
De sonores clameurs qui charmaient les perruches.
Vint le marin sifflant la polka périmée,
Vint la bigote obscène et son bonnet à ruches,
Puis le perchoir de bois dans la cage dorée ;
Les refrains tropicaux désertèrent ta gorge.

Rastaquouère paré de criardes couleurs
Ô général d’empire, ô métèque épatant
Tu simules pour moi grotesque voyageur,
Un aigle de lutrin perché sur un sextant.

Mais le cacatoès observait le persil
Le bifteck trop saignant, la pot-bouille et la nuit,
Tandis qu’un chien troublait mon sommeil et la messe.
Qui, par rauques abois, prétendait le funeste
Effrayer le soleil, la lune et les étoiles.

Coco ! cri avorté d’un coq paralytique,
Les poules en ont ri, volatiles tribades,
Des canards ont chanté qui se sont cru des cygnes,
Qui donc n’a pas voulu les noyer dans la rade ?

Qu’importe qu’un drapeau figé dans son sommeil
Serve de parapluie aux camelots braillards
Dont les cors font souffrir les horribles orteils :
Au vent du cauchemar claquent mes étendards.

Coco ! femme de Loth pétrifiée par Sodome,
De louches cuisiniers sont venus, se cachant,
Effriter ta statue pour épicer l’arôme
Des ragoûts et du vin des vieillards impuissants.

Coco ! fruit défendu des arbres de l’Afrique,
Les chimpanzés moqueurs en ont brisé des crânes
Et ces crânes polis d’anciens explorateurs
Illusionnent encor les insanes guenons.

Coco ! Petit garçon savoure ce breuvage,
La mer a des parfums de cocktails et d’absinthe,
Et les citrons pressés ont roulé sur les vagues ;
Avant peu les alcools délayant les mirages
Te feront piétiner par les pieds durs des bœufs.

La roulette est la lune et l’enjeu ton espoir,
Mais des grecs ont triché au poker des planètes,
Les sages du passé, terrés comme des loirs,
Ont vomi leur mépris au pied des proxénètes.

Les maelstroms gueulards charrieront des baleines
Et de blancs goélands noyés par les moussons.
La montagne fondra sous le vent des saisons,
Les ossements des morts exhausseront la plaine.

Le feu des Armadas incendiera la mer,
Les lourds canons de bronze entr’ouvriront les flots
Quand, seuls sur l’océan, quatre bouchons de liège
Défieront le tonnerre effroi des matelots.

Coco ! la putain pâle aux fards décomposés
A reniflé ce soir tes étranges parfums.
Elle verra la vie brutale sans nausée
A travers la couleur orangée du matin.

Elle marchera sur d’humides macadams
Où les phallophories de lumières s’agitent ;
Sur les cours d’eau berceurs du nord de l’Amérique
Voguera sa pirogue agile, mais sans rame.

Les minarets blanchis d’un Alger idéal
Vers elles inclineront leur col de carafon
Pour verser dans son cœur mordu par les démons
L’ivresse des pensées captée dans les bocaux.

Sur ses talons Louis Quinze elle ira, décrochant
Les yeux révulsés des orbites des passants !

      Ô le beau collier, ma mie
      Que ces yeux en ribambelle,
      Ô le beau collier ma mie
      Que ces têtes sans cervelle.

      Nous jouerons au bilboquet
      Sur des phallus de carton-pâte,
      Danse Judas avec Pilate
      Et Cendrillon avec Riquet.

      Elle vivra, vivra marchant
En guignant de l’œil les boutiques
Où sur des tas d’or, souriant aux pratiques,
D’un peu plus chaque jour engraissent les marchands.

      Elle vivra marchant,
Jusqu’à l’hospice ouvrant sa porte funéraire
Jusqu’au berceau dernier, pirogue trop légère,
Sur l’ultime Achéron de ses regrets naissants.

Ou bien, dans un couvent de nonnes prostituées,
Abbesse au noir pouvoir vendra-t-elle la chair
Meurtrie par les baisers de ses sœurs impubères ?

Lanterne en fer forgé au seuil des lupanars,
Courtisanes coiffées du seigneurial hennin,
Tout le passé s’endort au grabat des putains
Comme un banquier paillard rongé par la vérole.

Saint Louis, jadis, sérieux comme un chien dans les quilles
Régissait la rue chaude aimée des Toulousains,
Le clapier Saint-Merry, proche la même église,
Mêlait ses chants d’amour aux nocturnes tocsins.

La reine Marie Stuart obtint par grand’prière
Que d’un vocable orgiaque on fît Tire-Boudin,
J’aime beaucoup ces rues Tiron, Troussenonnains,
Où trafiquaient à l’enseigne des jarretières
Les filles aux doigts blancs, aux langues meurtrières.

Holà ! l’estaminet s’ouvre sur l’horizon,
Les buveurs ont vomi du vin rouge hier soir
Et ce matin, livide et crachant ses poumons,
Syphilitique est morte la putain sans gloire.

Que le vent gonfle donc la voile des galères
Car les flots ont échoué sur les grèves antiques
Des cadavres meurtris dédaignés des requins,
Les crabes ont mangé tous les cerveaux lyriques,
Une pieuvre s’acharne après un luth d’argent
Et crève un sac soyeux où sonnaient les sequins !

Tabac pour la concierge et coco pour la grue !
Je ne priserai pas la poudre consolante
Puisqu’un puissant opium s’exhale de mes nuits,
Que mes mains abusées ont déchiré parfois
La chair sanglante et chaude et vierge mais dolente !

Quels bouquets, cher pavots, dans les flacons limpides,
Quels décombres thébains et, Byzance orgueilleuse,
Les rêves accroupis sur le bord d’un Bosphore
Où nagent les amours cadencées et nombreuses.

J’ai des champs de pavots sournois et pernicieux
Qui, plus que toi Coco ! me bleuiront les yeux.
Sur Gomorrhe et Sodome aux ornières profondes,
J’ai répandu le sel fertilisant des ondes.

J’ai voulu ravager mes campagnes intimes,
Des forêts ont jailli pour recouvrir mes ruines.
Trois vies superposées ne pourraient pas suffire
A labeur journalier en saccager l’empire.

Le poison de mon rêve et voluptueux et sûr
Et les fantasmes lourds de la drogue perfide
Ne produiront jamais dans un esprit lucide
L’horreur de trop d’amour et de trop d’horizon
Que pour moi voyageur font naître les chansons.

Novembre 1919

Robert Desnos
Corps et Biens

martes, 4 de junio de 2013

Ce soir je chante l´opium



Ce soir, je chante l'opium

L'opium illimité, l'opium immense,

L'opium, fils hiératique de l'Asie,

Qui dispense

La douceur pour nectar la paix pour ambroisie,

Et dont les dix mille génies tutélaires

Ont suscité comme un pardon,

Les paroles de lumière,

De Confutsé à Meng Tseu,

Ce soir, je Chante l'opium,

L'opium illimité, l'opium immense...

Dans mon cerveau, sa fumée danse

En me faisant oublier l'homme...

Je regarde le fantôme enivré;

Je suis ses voiles impondérables,

Et j'écoute sa voix qui promet des extases...

Et j'entre dans les pagodes parfumées de jasmins

Où brûlent des bâtonnets aux ancêtres...

Ce soir, je Chante l'opium,

L'opium illimité, l'opium immense...

La jonque nous attend, prête pour la partance,

Au fond d'un golfe de Formose.

Le vieux pirate qui la conduit

Est si tanné, qu'il a l'air cuit

Par le soleil du Fleuve Jaune...

Mais, sur sa natte, voici qu'il tend

Le bol où fume un thé très rare.

Ce soir, je Chante l'opium,

L'opium illimité, l'opium immense...

Couché dans un sampan qui dérive en cadence,

Nous glissons sur la rivière,

Entre les rizières

De la province de Kwan Tong.

Et me voici dans la ville étincelante

Où grouillent et crient des millions d'êtres...

...Et des cymbales cinglant le silence !...

Ce soir, je Chante l'opium,

L'opium illimité, l'opium immense...

Qui me prendra saoul de choum choum

Par les ruelles bariolées

Aux odeurs d'ail et d'encens?

Je veux une musique acidulée;

Et, sur le pont d'un bateau fleur,

Le sourire lunaire, placide et moqueur,

D'uns danseuse de Nanking ou d'un mignon du pays Thô.

Ce soir, je Chante l'opium,

L'opium illimité, l'opium immense...

Et je veux, rituellement, faire les révérences

Aux esprits des vieux fumeurs...

Conduisez donc mon pauvre cœur

A travers les splendides palais funéraires ;

Là je vivrai. Là je prierai ;

Gardé par les taciturnes colosses de pierre

Dont le rire hallucine aux mornes nuits d'opium !

Dieu mystérieux des parfums et des formes,

Régnant par la douceur sur l'âpre solitude,

Accorde moi le calme, et fais que ce soit moins rude

Le dédain de la vie à l'âme du rêveur...

Puisqu'à présent, pour moi, la jeunesse s'enfuit

Jour par jour, un peu plus, comme un vent impalpable,

Permets que l'illusion me jette dans la nuit,

Des grains d'or pur parmi le sable...

Je veux penser que me voilà petit enfant

Comme jadis. Je veux mon cœur aussi confiant

Et mon âme aussi ingénue...

Je regarderai les nuages,  dans les nues,

Comme avant...

Par ton miracle bleu, par ta mansuétude,

J'oublierai qu'iil y a des méchants parmi nous,

L'homme égoïste, avare, indiffére,t et fou,

Et la femme accroupie en basse servitude...

Je ne verrai rien. Je ne dirai rien !

Et je n'entendrai plus tous les bruits de la foule ;

Je croirai percevoir le grand rythme et la houle

De la mer, aux colloques aériens...

Je m'étendrai bien seul, sur ma sœur la terre,

Comme se reposent les beaux morts ;

Et mes regards seront tournés vers l'or

Des silences planétaires...

Et si quelque chant pur me rappelait l'amour

Et la douceur des jeunes lèvres.

Dieu mystérieux des rêves et des fièvres,

C'est vers toi, qu'à genoux, j'évoquerai l'Amour !...



Jacques D'Adelsward-Fersen

Tiré de HEI HSIANG (Le Parfum Noir)

(A. Meissen Editeur, 1921)

lunes, 3 de junio de 2013

C´est aujourd´hui qu´il faut mourir de rire



"Mes voisins commençaient à me paraître un peu originaux ; ils ouvraient de grandes prunelles de chat-huant ; leur nez s’allongeait en proboscide ; leur bouche s’étendait en ouverture de grelot. Leurs figures se nuançaient de teintes surnaturelles.

L’un d’eux, face pâle dans une barbe noire, riait aux éclats d’un spectacle invisible ; l’autre faisait d’incroyables efforts pour porter son verre à ses lèvres, et ses contorsions pour y arriver excitaient des huées étourdissantes.

Celui-ci, agité de mouvements nerveux, tournait ses pouces avec une incroyable agilité ; celui-là, renversé sur le dos de sa chaise, les yeux vagues, les bras morts, se laissait couler en voluptueux dans la mer sans fond de l’anéantissement.

Moi, accoudé sur la table, je considérais tout cela à la clarté d’un reste de raison qui s’en allait et revenait par instants comme une veilleuse près de s’éteindre.

De sourdes chaleurs me parcouraient les membres, et la folie, comme une vague qui écume sur une roche et se retire pour s’élancer de nouveau, atteignait et quittait ma cervelle, qu’elle finit par envahir tout à fait.

L’hallucination, cet hôte étrange, s’était installée chez moi.
(...)

Au bout de quelques minutes, mes compagnons ; les uns après les autres, disparurent, ne laissant d’autre prestige que leur ombre sur la muraille, qui l’eut bientôt absorbée ; ainsi que les taches brunes que l’eau fait sur le sable s’évanouissent en séchant.

La solitude régna dans le salon, étoilé seulement de quelques clartés douteuses ; puis, tout à coup, il me lassa un éclair rouge sous les paupières, une innombrable quantité de bougies s’allumèrent d’elles mêmes, et je me sentis baigné par une lumière tiède et blonde. L’endroit où je me trouvais était bien le même, mais avec la différence de l’ébauche au tableau ; tout était plus grand, plus riche, plus splendide. La réalité ne servait que de point de départ aux magnificences de l’hallucination.

Je ne voyais encore personne, et pourtant je devinais la présence d’une multitude.

J’entendais des frôlements d’étoffes, des craquements d’escarpins, des voix qui chuchotaient, susurraient, blésaient et zézayaient, des éclats de rire étouffés, des bruits de pieds de fauteuil et de table. On tracassait les porcelaines, on ouvrait et l’on refermait les portes ; il se passait quelque chose d’inaccoutumé.

Un personnage énigmatique m’apparut soudainement.

Par où était-il entré ? je l’ignore ; pourtant cela ne me causa aucune frayeur : il avait un nez en bec d’oiseau, des yeux verts entourés de cercles bruns, qu’il essuyait fréquemment avec immense mouchoir ; une haute cravate blanche empesée, dans le nœud de laquelle était passée une carte visite où se lisaient écrits ces mots : Daucus-Carota, du Pot d’or, étranglait son col mince, et faisait derrière la peau de ses joues en plis rougeâtres ; un noir à basques carrées, d’où pendaient des grappes breloques, emprisonnait son corps bombé en de chapon. Quant à ses jambes, je dois avouer étaient faites d’une racine de mandragore, bifurquée, noire, rugueuse, pleine de nœuds et de verrues, paraissait avoir été arrachée de frais, car des parcelles de terre adhéraient encore aux filaments. Ces jambes frétillaient et se tortillaient avec une activité extraordinaire, et, quand le petit torse qu’elles soutenaient fut tout à fait vis-à-vis de moi, l’étrange personnage éclata en sanglots, et, s’essuyant les yeux à tour de bras, me dit de la voix la plus dolente :

" C’est aujourd’hui qu’il faut mourir de rire ! " Et des larmes grosses comme des pois roulaient sur les ailes de son nez.

" De rire… de rire… " répétèrent comme un écho des chœurs de voix discordantes et nasillardes.

Je regardai alors au plafond, et j’aperçus une foule de têtes sans corps comme celles des chérubins, qui avaient des expressions si comiques, des physionomies si joviales et si profondément heureuses, que je ne pouvais m’empêcher de partager leur hilarité.

Leurs yeux se plissaient, leurs bouches s’élargissaient, et leurs narines se dilataient ; c’étaient des grimaces à réjouir le spleen en personne. Ces masques bouffons se mouvaient dans des zones tournant en sens inverse, ce qui produisait un effet éblouissant et vertigineux.

Peu à peu le salon s’était rempli de figures extraordinaires, comme on n’en trouve que dans les eaux-fortes de Callot et dans les aquatintes de Goya : un pêle-mêle d’oripeaux et de haillons caractéristiques, de formes humaines et bestiales ; en toute autre occasion, j’eusse été peut-être inquiet d’une pareille compagnie, mais il n’y avait rien de menaçant dans ces monstruosités. C’était la malice, et non la férocité qui faisait pétiller ces prunelles. La bonne humeur seule découvrait ces crocs désordonnés et ces incisives pointues.

Comme si j’avais été le roi de la fête, chaque figure venait tour à tour dans le cercle lumineux dont j’occupais le centre, avec un air de componction grotesque, me marmotter à l’oreille des plaisanteries dont je ne puis me rappeler une seule, mais qui, sur le moment, me paraissaient prodigieusement spirituelles, et m’inspiraient la gaieté la plus folle.

À chaque nouvelle apparition, un rire homérique, olympien, immense, étourdissant, et qui semblait résonner dans l’infini, éclatait autour de moi avec des mugissements de tonnerre.

Des voix tour à tour glapissantes ou caverneuses criaient : " Non, c’est trop.drôle ; en voilà assez ! Mon Dieu, mon Dieu, que je m’amuse ! De plus fort en plus fort !

— Finissez ! . je n’en puis plus… Ho ! ho ! hu ! hu ! hi ! hi ; Quelle bonne farce ; Quel beau calembour ;
— Arrêtez ! j’étouffe ; j’étrangle ! Ne me regardez pas comme cela… ou faites-moi cercler, je vais éclater… " Malgré ces protestations moitié bouffonnes, moitié suppliantes, la formidable hilarité allait toujours croissant, le vacarme augmentait d’intensité, les planchers et les murailles de la maison se soulevaient et palpitaient comme un diaphragme humain, secoués par ce rire frénétique, irrésistible, implacable.

Bientôt, au lieu de venir se présenter à moi un à un, les fantômes grotesques m’assaillirent en masse, secouant leurs longues manches de pierrot, trébuchant dans les plis de leur souquenille de magicien, écrasant leur nez de carton dans des chocs ridicules, faisant voler en nuage la poudre de leur perruque, et chantant faux des chansons extravagantes sur des rimes impossibles. (...)
Plus loin se démenaient confusément les fantaisies des songes drolatiques, créations hybrides, mélange informe de l’homme, de la bête et de l’ustensile, moines ayant des roues pour pieds et des marmites pour ventre, guerriers bardés de vaisselle brandissant des sabres de bois dans des serres d’oiseau, hommes d’État mus par des engrenages de tournebroche, rois plongés à mi-corps dans des échauguettes en poivrière, alchimistes à la tête arrangée en soufflet, aux membres contournés en alambics, ribaudes faites d’une agrégation de citrouilles à renflements bizarres, tout ce que peut tracer dans la fièvre chaude du crayon un cynique à qui l’ivresse pousse le coude.

Cela grouillait, cela rampait, cela trottait, cela sautait, cela grognait, cela sifflait, comme dit Goethe dans la nuit du Walpurgis.
(...)
Daucus-Carota exécutait, tout en s’essuyant les yeux, des pirouettes et des cabrioles inconcevables, surtout pour un homme qui avait des jambes en racine de mandragore, et répétait d’un ton burlesquement piteux :
" C’est aujourd’hui qu’il faut mourir de rire ! "


Théophile Gautier, Le Club des Haschischins