sábado, 6 de septiembre de 2014

Éloge gargantuesque du torchecul



"- J'ai découvert, répondit Gargantua, à la suite de longues et minutieuses recherches, un moyen de me torcher le cul. C'est le plus seigneurial, le plus excellent et le plus efficace qu'on ait jamais vu.

- Quel est-il ? dit Grandgousier.
- C'est ce que je vais vous raconter à présent, dit Gargantua.
Une fois, je me suis torché avec le cache-nez de velours d'une demoiselle, ce que je trouvai bon, vu que sa douceur soyeuse me procura une bien grande volupté au fondement ;
une autre fois avec un chaperon de la même et le résultat fut identique ;
une autre fois avec un cache-col ;
une autre fois avec des cache-oreilles de satin de couleur vive, mais les dorures d'un tas de saloperies de perlettes qui l'ornaient m'écorchèrent tout le derrière.
Que le feu Saint-Antoine brûle le trou du cul à l'orfèvre qui les a faites et à la demoiselle qui les portait.
"Ce mal me passa lorsque je me torchai avec un bonnet de page, bien emplumé à la Suisse.
"Puis, alors que je fientais derrière un buisson, je trouvai un chat de mars et m'en torchai, mais ses griffes m'ulcérèrent tout le périnée.
"Ce dont je me guéris le lendemain en me torchant avec les gants de ma mère, bien parfumés de berga-motte.
"Puis je me torchai avec de la sauge, du fenouil, de l'aneth, de la marjolaine, des roses, des feuilles de courges, de choux, de bettes, de vigne, de guimauve, de bouillon-blanc (c'est l'écarlate au cul), de laitue et des feuilles d'épinards (tout ça m'a fait une belle jambe !), avec de la mercuriale, de la persicaire, des orties, de la consoude, mais j'en caguai du sang comme un Lombard, ce dont je fus guéri en me torchant avec ma braguette.
"Puis je me torchai avec les draps, les couvertures, les rideaux, avec un coussin, une carpette, un tapis de jeu, un torchon, une serviette, un mouchoir, un peignoir ; tout cela me procura plus de plaisir que n'en ont les galeux quand on les étrille.

- C'est bien, dit Grandgousier, mais quel torche-cul trouvas-tu le meilleur ?
- J'y arrivais, dit Gargantua ; vous en saurez bientôt le fin mot.
Je me torchai avec du foin, de la paille, de la bauduffe, de la bourre, de la laine, du papier.
Mais Toujours laisse aux couilles une amorce Qui son cul sale de papier torche.

- Quoi ! dit Grandgousier, mon petit couillon, t'attaches-tu au pot, vu que tu fais déjà des vers ?
- Oui-da, mon roi, répondit Gargantua, je rime tant et plus et en rimant souvent je m'enrhume.

Ecoutez ce que disent aux fienteurs les murs de nos cabinets :
Chieur,
Foireux,
Péteur,
Breneux,
Ton lard fécal
En cavale
S'étale
Sur nous.

Répugnant,
Emmerdant,
Dégouttant,
Le feu saint Antoine puisse te rôtir
Si tous
Tes trous
Béants
Tu ne torches avant ton départ.

"En voulez-vous un peu plus ?
- Oui-da, répondit Grandgousier.
- Alors, dit Gargantua :
En chiant l'autre jour j'ai flairé
L'impôt que mon cul réclamait :
J'espérais un autre bouquet.
Je fus bel et bien empesté.
Oh ! si l'on m'avait amené
Cette fille que j'attendais
En chiant,
J'aurais su lui accommoder
Son trou d'urine en bon goret ;
Pendant ce temps ses doigts auraient
Mon trou de merde équipé,
En chiant.

"Dites tout de suite que je n'y connais rien !
Par la mère Dieu, ce n'est pas moi qui les ai composés, mais les ayant entendu réciter à ma grand-mère que vous voyez ici, je les ai retenus en la gibecière de ma mémoire.
- Revenons, dit Grandgousier, à notre propos.
- Lequel, dit Gargantua, chier ?
- Non, dit Grandgousier, mais se torcher le cul.
- Mais, dit Gargantua, voulez-vous payer une barrique de vin breton si je vous dame le pion à ce propos ? - Oui, assurément, dit Grandgousier.
- Il n'est, dit Gargantua, pas besoin de se torcher le cul s'il n'y a pas de saletés.
De saletés, il ne peut y en avoir si l'on n'a pas chié.
Il nous faut donc chier avant que de nous torcher le cul !
- Oh ! dit Grandgousier, que tu es plein de bon sens, mon petit bonhomme ; un de ces jours prochains, je te ferai passer docteur en gai savoir, pardieu !
Car tu as de la raison plus que tu n'as d'années.
Allez, je t'en prie, poursuis ce propos torcheculatif.
Et par ma barbe, au lieu d'une barrique, c'est cinquante feuillettes que tu auras, je veux dire des feuillettes de ce bon vin breton qui ne vient d'ailleurs pas en Bretagne, mais dans ce bon pays de Véron.

- Après, dit Gargantua, je me torchai avec un couvre-chef, un oreiller, une pantoufle, une gibecière, un panier (mais quel peu agréable torche-cul !), puis avec un chapeau.
Remarquez que parmi les chapeaux, les uns sont de feutre rasé, d'autres à poil, d'autres de velours, d'autres de taffetas.
Le meilleur d'entre tous, c'est celui à poil, car il absterge excellemment la matière fécale.
Puis je me torchai avec une poule, un coq, un poulet, la peau d'un veau, un lièvre, un pigeon, un cormoran, un sac d'avocat, une cagoule, une coiffe, un leurre.

"Mais pour conclure, je dis et je maintiens qu'il n'y a pas de meilleur torche-cul qu'un oison bien duveteux, pourvu qu'on lui tienne la tête entre les jambes.
Croyez-m'en sur l'honneur, vous ressentez au trou du cul une volupté mirifique, tant à cause de la douceur de ce duvet qu'à cause de la bonne chaleur de l'oison qui se communique facilement du boyau du cul et des autres intestins jusqu'à se transmettre à la région du coeur et à celle du cerveau.
Ne croyez pas que la béatitude des héros et des demi-dieux qui sont aux Champs Elysées tienne à leur asphodèle, à leur ambroisie ou à leur nectar comme disent les vieilles de par ici.
Elle tient, selon mon opinion, à ce qu'ils se torchent le cul avec un oison ; c'est aussi l'opinion de Maître Jean d'Ecosse."

Rabelais, Gargantua, ch. XIII

viernes, 5 de septiembre de 2014

Guinefort, le saint canidé





De l´adoration du chien Guinefort

"Il faut parler en sixième lieu des superstitions outrageantes, dont certaines sont outrageantes pour Dieu, et d´autres pour le prochain. Sont outrageantes pour Dieu les superstitions qui accordent les honneurs divins aux démons ou à quelque autre créature: c´est ce que fait l´idolâtrie, et c´est ce que font les misérables femmes jeteuses de sorts, qui demandent le salut en adorant des sureaux ou en leur faisant des offrandes; méprisant les églises ou les reliques des saints, elles portent à ces sureaux, ou à des fourmilières ou à d´autres objets, leurs enfants, affin que guérison s´ensuive.

C´est ce qui se passait récemment dans le diocèse de Lyon où, comme je prêchais contre les sortilèges et entendais les confessions, de nombreuses femmes confessèrent qu élles avaient porté leurs enfants à saint Guinefort. Et comme je croyais que c´était quelque saint, je fis mon enquête et j´entendis pour finir qu´il s´agissait d´un chien lévrier, qui avait été tué de la manière suivante. 
 
Dans le diocèse de Lyon près du village des moniales nommé Neuville, sur la terre du sire de Villars, a existé un château, dont le seigneur avait de son épouse un petit garçon. Un jour, comme le seigneur et la dame étaient sortis de leur maison et que la nourrice avait fait de même, laissant seul l'enfant dans le berceau, un très grand serpent entra dans la maison et se dirigea vers le berceau de l'enfant. A cette vue, le lévrier, qui était resté là, poursuivant le serpent et l'attaquant sous le berceau, renversa le berceau et couvrit de ses morsures le serpent, qui se défendait et mordait pareillement le chien. Le chien finit par le tuer, et il le projeta loin du berceau. Il laissa le berceau et de même le sol, sa propre gueule et sa tête, inondés du sang du serpent. Malmené par le serpent, il se tenait dressé près du berceau. Lorsque la nourrice entra, elle crut, à cette vue, que l'enfant avait été dévoré par le chien et elle poussa un hurlement de douleur très fort. L'entendant, la mère de l'enfant accourut à son tour, vit et crut les mêmes choses, et poussa un cri semblable. Pareillement, le chevalier, arrivant là à son tour, crut les mêmes choses, et tirant son épée, tua le chien. Alors s'approchant de l'enfant, ils le trouvèrent sain et sauf, dormant doucement. Cherchant à comprendre, ils découvrirent le serpent déchiré et tué par les morsures du chien. Reconnaissant alors la vérité du fait, et déplorant d'avoir tué si injustement un chien tellement utile, ils le jetèrent dans un puits situé devant la porte du château, jetèrent sur lui une très grande masse de pierres et plantèrent à côté des arbres en mémoire de ce fait. Or, le château fut détruit par la volonté divine et la terre, ramenée à l´état de désert, abandonnée par l´habitant.

Mais les paysans, entendant parler de la noble conduite du chien et dire comment il avait été tué, quoique innocent et pour une chose dont il dut attendre du bien, visitèrent le lieu, honorèrent le chien tel un martyr, le prièrent pour leurs infirmités et leurs besoins, et plusieurs y furent victimes des séductions du diable qui, par ce moyen, poussait les hommes dans l´erreur. Mais surtout, les femmes qui avaient des enfants faibles et malades les portaient en ce lieu. Dans un bourg fortifié distant d´une lieue de cet endroit, elles allaient chercher une vieille femme qui leur enseignait la manière rituelle d'agir, de faire des offrandes aux démons, de les invoquer, et qui les conduisait en ce lieu.
Quand elles y parvenaient, elles offraient du sel et d´autres choses ; elles pendaient aux buissons alentour les langes de l´enfant ; elles plantaient un clou dans les arbres qui avaient poussé en ce lieu ; elles passaient l´enfant nu entre les troncs de deux arbres : la mère, qui était d´un côté, tenait l´enfant et la jetait neuf fois à la vieille femme qui était de l´autre côté. En invoquant les démons, elles adjuraient les faunes qui étaient dans la forêt de Rimite de prendre cet enfant malade et affaibli qui, disaient-elles, était à eux ; et leur enfant, qu´ils avaient emporté avec eux, de le leur rendre gras et gros, sain et sauf.

Cela fait, ces mères infanticides reprenaient leur enfant et le posaient nu au pied de l´arbre sur la paille d´un berceau, et avec le feu qu´elles avaient apporté là, elles allumaient de part de d´autre de la tête deux chandelles mesurant un pouce, et elles les fixaient dans le tronc au-dessus. Puis elles se retiraient jusqu´à ce que les chandelles fussent consumées, de façon à ne pas entendre les vagissements de l´enfant et à ne pas le voir. C´est en se consumant ainsi que les chandelles brûlèrent entièrement et tuèrent plusieurs enfants, comme nous l´avons appris de plusieurs personnes. (…)
Lorsque les mères retournaient à leur enfant et le trouvaient vivant, elles le portaient dans les eaux rapides d´une rivière proche, appelée la Chalaronne, où elles le plongeaient neuf fois : s´il s´en sortait et ne mourait pas sur-le-champ ou juste après, c´est qu´il avait les viscères bien résistants.

Nous nous sommes transporté en ce lieu, nous avons convoqué le peuple de cette terre, et nous avons prêché contre tout ce qui était dit. Nous avons fait exhumer le chien mort et couper le bois sacré, et  nous avons fait brûler celui-ci avec les ossements du chien. Et j'ai fait prendre par les seigneurs de la terre un édit prévoyant la saisie et le rachat des biens de ceux qui afflueraient désormais  en ce lieu pour une telle raison."

Étienne de Bourbon, XIIIe siècle