jueves, 27 de noviembre de 2014

La femme-homard



PROPOS D'UN PARISIEN
La femme-homard est-elle un phénomène ou une artiste ?
Le tribunal a demandé un mois pour étudier cette question le 27. juillet, nous saurons si Mlle Brison, dont les bras et.les jambes se terminent par des manières de pinces de homard, est un simple phénomène ou "une artiste peintre". Et la question a son importance, car cette jeune personne se montre dans les foires en dépit de l'ordonnance du préfet de police, en date de février 1906, laquelle interdit, sauf de rares exceptions, l'exhibition de phénomènes vivants. Phénomène, elle sera condamnée artiste,elle. sortira tête haute de l'audience. Espérons que' le tribunal adoptera la deuxième manière de voir car la femmehomard est à. la veille de se marier, un jeune homme très bien ayant demandé sa pince.
Ainsi, la liberté d'être phénomène la dernière nous a été retirée. Nous n'avons plus le droit d'être l'homme squelette, la femme-crapaud, si ce n'est en vertu d'une autorisation spéciale. Il faut s'attendre à ce que bientôt, à l'Officiel, entre une promotion militaire et un mouvement préfectoral, paraissent les nominations de femmes à trompe et d'hommes à gueule de chien. C'était bien la peine, n'est-ce pas, de prendre la Bastille. Plus de phénomènes vivants. C'est cela qui va gêner le recrutement de nos parlementaires En d'autres temps, c'était une bénédiction dans une famille quand le petit dernier montrait des dispositions pour devenir un monstre digne de figurer chez Bamum. Et le petit, demandaient les voisins jaloux, est-ce qu'il promet?
Qui, répondait l'heureux père, il promet d'éclipser l'homme à la tête de veau. Hélas tout s'en va. La carrière de phénomène est perdue du fait de l´administration, décidément hostile à toutes les supériorités.

Le Matin, 1 juillet 1909



miércoles, 26 de noviembre de 2014

La femme à deux têtes

 
  "Ritta et Christina n’existent plus !
Christina-Ritta a cessé de vivre, cette âme unique s’est envolée, ce double coeur a cessé de battre, et déjà M. Geoffroy Saint-Hilaire a procédé à l’autopsie de l’étrange phénomène ; cette charmante création, ces deux jeunes enfants en un seul corps, a été soumise au scalpel de l’opérateur : le scalpel aujourd’hui répond à toutes les questions au delà du monde habituel, il tranche sans pitié le noeud qui attache le possible à l’impossible, le fini à l’infini, cette âme unique à ce double corps. Il semble que lorsqu’on a dit : «Voilà un monstre !» on n’ait plus rien à dire ; grave malheur, en vérité, car, avec cette manière de résoudre un problème par une opération physique, il n’y a plus de problème dans le monde moral, il n’y a plus rien, pas même de paradoxe, de ces longs paradoxes si favorables à la pensée : toute l’histoire de ces deux enfants se réduit donc à ce peu de mots : Ritta-Christina est morte ; elle avait deux coeurs, un seul poumon. Un épanchement de sang a provoqué la maladie bleue, que voulez-vous savoir de plus ? Le monstre est renfermé dans un bocal d’amphithéâtre, et vous pourrez le voir trois fois par semaine entre les crânes de Papavoine et de Castaing !
On n’a pu rien nous dire de plus satisfaisant à ce sujet. Ce pauvre enfant, qui nous arrive de si loin, que le préfet de police proscrit à son entrée dans la ville, qui meurt faute d’un médecin ou d’un apothicaire, deux choses si vulgaires parmi nous, et qu’on prive de cercueil par une fiction, en supposant qu’il est mort à l’hôpital, cet enfant n’est pas étudié avec plus de soin qu’un veau à deux têtes ou quelque mouton à six pieds un jour de foire.
Plus de question au delà du corps ; Ritta-Christina est venue trop tard. Comme l’intérêt est changé ! combien ce phénomène eût été plus puissant sous le père Malebranche ! que c’eût été pour le sublime rêveur un admirable spectacle ! Deux jeunes filles, deux têtes d’enfant, deux sensations diverses ! Ici de la joie, là de la douleur, des larmes et un sourire plus distincts que le sourire mouillé d’Homère ; deux passions, deux volontés, deux désirs, un seul corps ! O père Malebranche ! que tout cela aurait bien valu pour vous la pomme de Newton. Je vois d’ici son inquiétude ! «Y a-t-il donc là deux âmes, là deux pensées, là deux créatures immortelles ? Ou bien n’y a-t-il de chaque côté qu’une partie du souffle divin qui fait l’homme ? – Cherchez, mon père !» Et voilà Malebranche déchaîné, qui se livre à ses extases platoniciennes, colorées à la manière antique ; puis, quand il a jugé, la Sorbonne plus lente, qui se remue, qui examine, qui disserte ; toute la philosophie est en émoi ; Ritta-Christina occupe la ville et la cour, Port-Royal et Saint-Sulpice, l’hôtel Rambouillet et l’Académie ; c’est un mouvement très supérieur au mouvement excité par la dent d’or de Fontenelle, mouvement respectable toujours, parce qu’il prouve deux choses rares chez les peuples qui s’en vont, de la croyance et du travail.
D’un siècle de foi rendons-nous dans un siècle incrédule, de Malebranche allons à Diderot, deux imaginations et deux styles si étonnés de leur ressemblance. Vienne Ritta-Christina. Christina au XVIIIe siècle ; vous verrez le scepticisme du XVIIIe siècle s’inquiéter autant de Ritta et Christina que la foi du siècle d’Arnaud et de Pascal. L’école de Voltaire est triomphante à l’aspect de ce monstre inespéré. – Voyez, une âme suffit à deux corps, la pensée et la volonté, qu’on croyait indivisibles, se divisent, l’âme n’est plus une, il n’y a plus d’unité, et par conséquent plus d’immortalité pour l’âme ; il n’y a pas d’âme. Pour ce siècle d’incrédulité religieuse, Ritta et Christina jouent le même rôle que les anguilles de farine du jésuite Needham ; Ritta et Christina occupent autant et à plus juste titre les penseurs de l’époque que les miracles de Pâris ou les mandements de M. de Beaumont, toute l’Encyclopédie se répand au dehors ; à ce propos, Ferney s’ébranle, le salon d’Holbach se soulève ; vers, prose, moquerie, dissertation sérieuse, roman pour faire suite à Candide, rien n’y manque ; voilà ce qui s’appelle de l’intérêt et de la passion, voilà du zèle, voilà encore du prosélytisme, voilà ce que nous n’avons plus de nos jours ; pour ma part, j’aime encore mieux cette façon d’agir et de voir du XVIIIe siècle que la froide opération du scalpel ; j’aime mieux voir disséquer une âme que disséquer un corps ; mais, si je préfère Diderot à M. Geoffroy Saint-Hilaire, je mets le père Malebranche bien au-dessus de l’Encyclopédie. J’aime qu’on rêve quand il y a tant de choses ! Quand il y va d’un monde moral, scalpel ou éclat de rire sont deux contresens à faire peur. Si vous ne pouvez pas expliquer le phénomène qui vous occupe, du moins gardez-vous de le calomnier, de l’anéantir; étudiez-le simplement et sans ostentation, ne fût-ce que pour vous tout seul. Si la réalité vous fait peur, si vous reculez devant le monstre, oubliez-le, ne pensez qu’à la partie au delà du monstre, persuadez-vous, s’il le faut, que cette âme en deux corps n’est qu’une vision, mais ne vous attaquez pas au corps pour trouver l’âme, suivez votre vision comme Hamlet suit son fantôme, avec les yeux de son esprit.
Car vraiment, à propos d’un phénomène si étrange, quand les combinaisons immuables de la nature se trouvent fortuitement dérangées, il s’agit bien d’un squelette sans mouvement et sans chair ! Vous courez après un homme moral, et vous arrivez en présence d’un je ne sais quoi qui n’a plus de nom dans aucune langue. Un crâne desséché, des membres rabougris, des nerfs retirés, des phalanges, des os, des excoriations hideuses, voilà tout ce que le scalpel vous donnera. Vous avez la main légère, j’y consens, votre instrument est rudement affilé, le sujet sur lequel vous opérez est aussi ferme que s’il sortait tout sanglant de Clamart, en un mot, c’est le plus beau cadavre de monstre que se puisse voir ; opérez cependant, et tout se perd au premier coup, vous gâtez ce beau cadavre, vous mettez ce monstre au niveau des hommes ordinaires, et quand tout est fini, vous vous êtes donné bien du mal pour n’arriver qu’à une ombre de cadavre, à une représentation osseuse d’une nature extraordinaire ; vous n’avez en dernier résultat qu’une apparence de monstre, un monstre fait au trait, un Callot à l’eau-forte, rien de plus. Vous êtes moins avancé que Malebranche : Malebranche, au moins, a fait un beau rêve ; moins avancé même que Diderot : Diderot, il est vrai, est arrivé comme vous au néant, mais, avant d’atteindre ce but, il a passé par de ravissantes extases. En résumé, pour Malebranche, pour Diderot, pour M. Geoffroy Saint-Hilaire, Ritta et Christina est un être perdu.
C’est que les uns et les autres ont procédé d’une manière incomplète. Le philosophe a bien saisi au passage le souffle qui animait ce corps, ce quelque chose qui se tenait au-dessous de la monstruosité ; il a bien assisté à l’unique battement de ce double coeur, il a bien vu tout le côté moral de cet étrange produit d’un père et d’une mère faits à l’image de Dieu ; mais il s’est arrêté au moment où il avait besoin d’un corps pour agir ; il s’est persuadé que la métaphysique n’était appelée qu’à travailler sur l’âme pure ; l’opérateur, au contraire, n’a voulu agir que sur le corps ; scalpel ou logique, c’est donc toujours le même résultat incomplet, c’est une sensation ou une opinion isolées qui devraient être réunies.
En procédant ainsi, il serait impossible d’arriver à une réponse précise. Il faut, pour comprendre Ritta et Christina, réunir l’âme et le corps ; pour cela, il existe un moyen infaillible, une réponse certaine, si toutefois une réponse est possible : c’est le roman.
Le roman seul va réunir ces deux extrêmes. O le beau et noble sujet ! Faites que le philosophe et l’amateur de monstres soient d’accord, Ritta et Christina vont revivre de plus belle. Le romancier s’arrête tout étonné devant une variation inconnue de l’homme moral ; que de découvertes il se promet à l’aspect de cet être à deux vies ! Ce ne sera peut-être plus la même âme, la même douleur, le même amour, la même passion ! Il y a peut-être dans ces deux têtes réunies un sens qui nous manque, une manière de sentir que nous allons apprendre. Déjà notre écrivain se fait, en pensée, le Christophe Colomb d’un nouveau monde moral ! Que la voile s’enfle, qu’il parte seul pour cette lointaine Amérique, qu’il nous porte à des passions inconnues, son héros lui est donné, Ritta-Christina ; le roman psychologique compte un chef-d’oeuvre de plus.
Il ne s’agit que de bien poser la scène. Le roman commence. Faites que Ritta et Christina ne soient pas deux enfants de pauvres laboureurs, la misère gâte tout ce qu’elle touche. Voilà nos deux enfants, Ritta et Christina, qui naissent ensemble, grandissent ensemble, s’épanouissent ensemble au souffle de leur dix-septième printemps ; deux jolies têtes : l’une est brune, l’autre est blonde, c’est le jour et la nuit ; Christina est plus forte que Ritta ; c’est elle qui protège sa soeur, elle qui veille sur Ritta, qui la regarde dormir, et qui se dit : «Comme elle est frêle !» Arrive l’amour, et, comme dans le Songe d’une nuit d’été, le joyeux Puck fait des siennes, il mêle tout, il confond tout ; Christina et Ritta doivent jouer dans le roman le même rôle qu’Hermia et Titania, dans la pièce fantastique de Shakespeare.
Laissez faire le romancier, il saura bien à qui donner le beau rôle, il saura tellement dédoubler cette âme de femme qu’il trouvera encore de quoi mettre de l’intérêt des deux parts. Vous verrez même que, sans le vouloir, il rencontrera quelque Werther à passion concentrée et timide, qui n’osera pas parler d’amour à Christina parce que Ritta est là, invinciblement là, qui l’écoute. Il aime la sérieuse Christina, il lui parle sérieusement d’amour, et à ses propos Ritta éclate de rire ; la folâtre Ritta se mêle sans pitié à cette passion, en jeune fille qui comprend son droit, car il n’y a qu’un seul coeur pour deux femmes : deux femmes et un seul amant, deux femmes et une seule vie ! Ici serait la catastrophe du roman, le quatrième livre de ce poème ; Ritta, la folâtre Ritta, languit et se meurt, son jeune front se décolore penché sur le sein de sa soeur, tout se perd, même le sourire. Cependant Christina se rassure, Christina ne sent rien encore, sa santé est toujours forte, elle interroge son pouls à elle, et elle juge que sa soeur n’a pas de fièvre ; elle met la main sur sa moitié de coeur, et aux battements de ce coeur elle juge que sa soeur ne peut pas mourir ; Christina veille pour Ritta, elle se nourrit pour Ritta ; elle soutient de ses bras cette soeur défaillante, elle se sert de la vie pour elle ; c’est une lutte énergique entre la force et la faiblesse, la maladie et la santé, la défaillance et le courage ; une lutte inouïe comme dans un combat épique, quand un guerrier est frappé à mort.
Ritta expire, là finit le drame ; Christina expire aussi : l’une et l’autre sont mortes en même temps ; ces deux moitiés d’âme se sont réunies ; grâce au roman, nous sommes arrivés à une terreur nouvelle, à une émotion inconnue… A la fin, nous avons compris à quoi les monstres étaient bons à l’artiste. On a fait des chefs-d’oeuvre plus difficiles : la comédie politique des Nuées d’Aristophane et le René de M. de Chateaubriand. René est une âme autrement compliquée, autrement difficile à saisir que ces deux âmes ou ces deux moitiés d’âme qui ont un nom sur la terre, Ritta et Christina, et que leur père nous a apportées comme une curiosité sans but. Le romancier se tire de tout quand il opère sur une âme avec une âme ; ainsi fait, le roman est supérieur de beaucoup à la dissertation la plus lumineuse, à la dissertation la mieux faite. Vous verrez cependant que notre époque laissera échapper ce beau sujet de Ritta et Christina ; ce sera comme si Shakespeare avait refusé de peindre Ariel et Caliban.
Je ne serais pas même étonné qu’on ne s’écriât à l’impossible, ceux mêmes qui savent tout ce qui se passe dans les romans modernes. Ici, de l’esprit vieux comme l’empire ; là, des observations de moeurs de caserne et d’antichambre ; plus bas, des aventures que l’abbé Prévost n’eût pas avouées dans un mauvais rêve, partout des coups de tonnerre, des effets et des catastrophes hideuses, de sorte que, pour nous tirer de cette inquiétante léthargie, jamais ne fut mieux trouvé que Ritta et Christina. Nous nous sommes intéréssés à des êtres plus impossibles au roman. Un nègre, par exemple, un de ces hommes traqués par des chiens espagnols et vendus à l’encan : une pauvre négresse aux cheveux crêpés, aux grosses lèvres, à l’oeil rond, en un mot quelque chose de très inférieur à nos deux jolies filles blanches et roses, à nos deux charmantes jumelles. Regardez cependant : une duchesse parisienne, une grande dame de cour, avec un style de femme, s’est chargé d’Ourika ; elle a pris en pitié cette pauvre créature ignorée, méconnue, ce phénomène de l’état social, et Ourika fait verser autant de larmes que Virginie, Atala, pardon si j’ajoute encore autant de larmes que Manon Lescaut ! Ourika meurt comme Ritta et Christina, incomplète et malheureuse comme elles ; nature ou monstre, histoire ou roman, le résultat est le même ; grâce à mon livre, il vous sera démontré que la monstruosité n’existe pas pour le monde moral, que ce ne peut être une science à part, Virginie, Atala, Manon, Clarisse, Adolphe, Werther !
Ne dirait-on pas, en effet, autant de monstres comme Ritta-Christina, autant de moitiés d’une belle âme qui s’envole, parce qu’il leur tarde de se réunir à cette moitié inconnue qui leur manque et à laquelle est attachée tout leur bonheur ! Et non seulement Ourika, non seulement René, non seulement le Dernier Abencérage, vagabond pèlerin dans le palais de ses pères, non seulement tout l’extraordinaire du monde moral, mais encore tous les désordres du monde physique, se sont montrés à nous sous la forme du roman. Le Lépreux nous est venu avec sa face rongée de lèpre, et nous avons pleuré ; le Vampire, et nous avons eu peur ; l’Hydrophobe s’est produit sur la scène, et sans la censure nous avions un drame de plus. Dernièrement encore n’avons-nous pas lu un livre aussi plein de merveilleux qu’un Traité du petit Albert, livre singulier dans lequel, après avoir parcouru dans tous les sens le discrimen obscurum de la statue d’Hermaphrodite, l’auteur conclut par cette phrase étrange : Mes frères, transportez le corps de ce pêcheur au couvent des soeurs de la Miséricorde ! Tout est fait. C’est justement parce que tout est fait que Ritta et Christina est un beau sujet à proposer aux gens de l’art, aux philosophes de l’être et du non-être ; il y a tout un abîme à combler entre Ritta et Christina, tout un monde poétique à découvrir, il ne s’agit que d’y songer.
Aujourd’hui surtout que les prodiges se multiplient d’une manière inouïe, que les monstres ne se comptent plus, et qu’on pourrait en peupler une terre vaste comme l’Atlantide ; naguère nous avons vu sur le théâtre, où Jocko fut un acteur dramatique à l’égal de Talma, un éléphant rival de Mlle Taglioni danser la danse du schall, et se faire applaudir beaucoup plus longtemps que l’Othello français ; à peine l’éléphant est-il parti qu’un nain se rencontre pour le remplacer ; une créature raisonnable de trois pieds, qui est à elle-même son propre cornac, réalisation inespérée des nains de Walter Scott. Ritta et Christina ne sont plus, et déjà deux jeunes Siamois arrivent pour nous consoler ; gémeaux plus unis que les frères d’Hélène, robustes garçons de dix-huit ans de la plus élégante monstruosité. De sorte que notre roman se complique d’une façon inespérée ; de sorte que nous avons un pendant tout trouvé à notre double héroïne. Jetez sur le même théâtre ou dans le même livre ces deux frères, ces deux soeurs ; serrez votre fable, méditez-la ; dites-vous bien que vos héros ont existé et qu’ils existent ; mélangez avec art ces passions réunies invinciblement et si opposées entre elles, votre fable fera merveille, vous verrez.
C’est ainsi seulement qu’il y a quelque chose de possible encore une fois, ainsi seulement le nouveau devient probable ; toutes les combinaisons étant épuisées, la monstruosité nous reste. L’Apollon du Belvédère descend de son piédestal ; désormais M. Geoffroy Saint-Hilaire devient le grand prêtre du nouveau monde poétique, probablement le dernier dieu de cet Olympe soumis à tant de révolutions.
Jules Janin, « La Femme à deux têtes » in Petits Souvenirs, La Librairie des Bibiophiles, 1883

domingo, 23 de noviembre de 2014

Manifesto della cucina futurista



Il Manifesto della Cucina Futurista di Filippo Tommaso Marinetti
Il Futurismo italiano, padre di numerosi futurismi e avanguardisti esteri, non rimane prigioniero delle vittorie mondiali ottenute "in venti anni di grandi battaglie artistiche politiche spesso consacrate col sangue" come le chiamò Benito Mussolini. Il Futurismo italiano affronta ancora l'impopolarità con un programma di rinnovamento totale della cucina. Fra tutti i movimenti artistici letterari è il solo che abbia per essenza l'audacia temeraria. Il novecentismo pittorico e il novecentismo letterario sono in realtà due futurismi di destra moderatissimi e pratici. Attaccati alla tradizione, essi tentano prudentamente il nuovo per trarre dall'una e dall'altro il massimo vantaggio.
Contro la pastasciutta
Il Futurismo è stato definito dai filosofi "misticismo dell'azione", da Benedetto Croce "antistoricismo", da Graça Aranha "liberazione dal terrore estetico", da noi "orgoglio italiano novatore", formula di "arte-vita originale", "religione della velocità", "massimo sforzo dell'umanità verso la sintesi", "igiene spirituale", "metodo d'immancabile creazione", "splendore geometrico veloce", "estetica della macchina". Antipraticamente quindi, noi futuristi trascuriamo l'esempio e il mònito della tradizione per inventare ad ogni costo un nuovo giudicato da tutti pazzesco. Pur riconoscendo che uomini nutriti male o grossolanamente hanno realizzato cose grandi nel passato, noi affermiamo questa verità: si pensa si sogna e si agisce secondo quel che si beve e si mangia.
Consultiamo in proposito le nostre labbra, la nostra lingua, il nostro palato, le nostre papille gustative, le nostre secrezioni glandolari ed entriamo genialmente nella chimica gastrica. Noi futuristi sentiamo che per il maschio la voluttà dell'amare è scavatrice abissale dall'alto al basso, mentre per la femmina è orizzontale a ventaglio. La voluttà del palato è invece per il maschio e per la femmina sempre ascensionale dal basso all'alto del corpo umano. Sentiamo inoltre la necessità di impedire che l'Italiano diventi cubico massiccio impiombato da una compattezza opaca e cieca. Si armonizzi invece sempre più coll'italiana, snella trasparenza spiralica di passione, tenerezza, luce, volontà, slancio, tenacia eroica. Prepariamo una agilità di corpi italiani adatti ai leggerissimi treni di alluminio che sostituiranno gli attuali pesanti di ferro legno acciaio. Convinti che nella probabile conflagrazione futura vincerà il popolo più agile, più scattante, noi futuristi dopo avere agilizzato la letteratura mondiale con le parole in libertà e lo stile simultaneo, svuotato il teatro della noia mediante sintesi alogiche a sorpresa e drammi di oggetti inanimati, immensificato la plastica con l'antirealismo, creato lo splendore geometrico architettonico senza decorativismo, la cinematografia e la fotografia astratte, stabiliamo ora il nutrimento adatto ad una vita sempre più aerea e veloce.
Crediamo anzitutto necessaria:
a) L'abolizione della pastasciutta, assurda religione gastronomica italiana. Forse gioveranno agli inglesi lo stoccafisso,il roast-beef e il budino, agli olandesi la carne cotta col formaggio, ai tedeschi il sauer-kraut, il lardone affumicato e il cotechino; ma agli italiani la pastasciutta non giova. Per esempio, contrasta collo spirito vivace e coll'anima appassionata generosa intuitiva dei napoletani. Questi sono stati combattenti eroici, artisti ispirati, oratori travolgenti, avvocati arguti, agricoltori tenaci a dispetto della voluminosa pastasciutta quotidiana. Nel mangiarla essi sviluppano il tipico scetticismo ironico e sentimentale che tronca spesso il loro entusiasmo. Un intelligentissimo professore napoletano, il dott.Signorelli, scrive: "A differenza del pane e del riso la pastasciutta è un alimento che si ingozza, non si mastica. Questo alimento amidaceo viene in gran parte digerito in bocca dalla saliva e il lavoro di trasformazione è disimpegnato dal pancreas e dal fegato. Ciò porta ad uno squilibrio con disturbi di questi organi. Ne derivano: fiacchezza, pessimismo, inattività nostalgica e neutralismo".
Invito alla chimica
La pastasciutta, nutritivamente inferiore del 40% alla carne, al pesce, ai legumi, lega coi suoi grovigli gli italiani di oggi ai lenti telai di Penelope e ai sonnolenti velieri, in cerca di vento. Perchè opporre ancora il suo blocco pesante all'immensa rete di onde corte lunghe che il genio italiano ha lanciato sopra oceani e continenti, e ai paesaggi di colore forma rumore che la radiotelevisione fa navigare intorno alla terra? I difensori della pastasciutta ne portano la palla o il rudero nello stomaco, come ergastolani o archeologi. Ricordatevi poi che l'abolizione della pastasciutta libererà l'Italia dal costoso grano straniero e favorirà l'industria italiana del riso.
b) L'abolizione del volume e del peso nel modo di concepire e valutare il nutrimento.
c) L'abolizione delle tradizionali miscele per l'esperimento di tutte le nuove miscele apparentemente assurde, secondo il consiglio di Jarro Maincave e altri cuochi futuristi.
d) L'abolizione del quotidianismo mediocrista nei piaceri del palato.
Invitiamo la chimica al dovere di dare presto al corpo le calorie necessarie mediante equivalenti nutritivi gratuiti di Stato, in polvere o pillole, composti albuminoidei, grassi sintetici e vitamine. Si giungerà così ad un reale ribasso del prezzo della vita e dei salari con relativa riduzione delle ore di lavoro. Oggi per duemila kilowatt occorre soltanto un operaio. Le macchine costituiranno presto un obbediente proletariato di ferro acciaio alluminio al servizio degli uomini quasi totalmente alleggeriti dal lavoro manuale. Questo, essendo ridotto a due o tre ore, permette di perfezionare e nobilitare le altre ore col pensiero le arti e la pregustazione di pranzi perfetti. In tutti i ceti i pranzi saranno distanziati ma perfetti nel quotidianismo degli equivalenti nutritivi.
Il pranzo perfetto esige:
1. Un'armonia originale della tavola (cristalleria vasellame addobbo) coi sapori e colori delle vivande.
2. L'originalità assoluta delle vivande.
Il "Carneplastico"
Esempio: Per preparare il Salmone dell'Alaska ai raggi del sole con salsa Marte, si prende un bel salmone dell'Alaska, lo si trancia e passa alla griglia con pepe e sale e olio buono finché è bene dorato. Si aggiungono pomodori tagliati a metà preventivamente cotti sulla griglia con prezzemolo e aglio.
Al momento di servirlo si posano sopra alle trancie dei filetti di acciuga intrecciati a dama. Su ogni trancia una rotellina di limone con capperi. La salsa sarà composta di acciughe, tuorli d'uova sode, basilico, olio d'oliva, un bicchierino di liquore italiano Aurum, e passati al setaccio. (Formula di Bulgheroni, primo cuoco della Penna d'Oca.)
Esempio: Per preparare la Beccaccia al Monterosa salsa Venere, prendete una bella beccaccia, pulitela, copritene lo stomaco con delle fette di prosciutto e lardo, mettetela in casseruola con burro, sale, pepe, ginepro, cuocetela in un forno molto caldo per quindici minuti innaffiandola di cognac. Appena tolta dalla casseruola posatela sopra un crostone di pane quadrato inzuppato di rhum e copritela con una pasta sfogliata. Rimettetela poi nel forno finchè la pasta è ben cotta. Servitela con questa salsa: un mezzo bicchiere di marsala e vino bianco, quattro cucchiai di mirtilli, della buccia di arancio tagliuzzata, il tutto bollito per 10 minuti. Ponete la salsa nella salsiera e servitela molto calda. (Formula di Bulgheroni, primo cuoco della Penna d'Oca).
3. L'invenzione di complessi plastici saporiti, la cui armonia originale di forma e colore nutra gli occhi ed ecciti la fantasia prima di tentare le labbra.
Esempio: Il Carneplastico creato dal pittore furista Fillìa, interpretazione sintetica dei paesaggi italiani, è composto di una grande polpetta cilindrica di carne di vitello arrostita ripiena di undici qualità diverse di verdure cotte. Questo cilindro disposto verticalmente nel centro del piatto, è coronato da uno spessore di miele e sostenuto alla base da un anello di salsiccia che poggia su tre sfere dorate di carne di pollo.
Equatore + Polo Nord
Esempio: Il complesso plastico mangiabile Equatore + Polo Nord creato dal pittore furista Enrico Prampolini è composto da un mare equatoriale di tuorli rossi d'uova all'ostrica con pepe sale limone. Nel centro emerge un cono di chiaro d'uovo montato e solidificato pieno di spicchi d'arancio come succose sezioni di sole. La cima del cono sarà tempestata di pezzi di tartufo nero tagliati in forma di aeroplani negri alla conquista zenit.
Questi complessi plastici saporiti colorati profumati e tattili formeranno perfetti pranzi simultanei.
4. L'abolizione della forchetta e del coltello per i complessi plastici che possono dare un piacere tattile prelabiale.
5. L'uso dell'arte dei profumi per favorire la degustazione. Ogni vivanda deve essere preceduta da un profumo che verrà cancellato dalla tavola mediante ventilatori.
6. L'uso della musica limitato negli intervalli tra vivanda e vivanda perchè non distragga la sensibilità della lingua e del palato e serva ad annientare il sapore goduto ristabilendo una verginità degustativa.
7. L'abolizione dell'eloquenza e della politica a tavola.
8. L'uso dosato della poesia e della musica come ingredienti improvvisi per accendere con la loro intensità sensuale i sapori di una data vivanda.
9. La presentazione rapida tra vivanda e vivanda, sotto le nari e gli occhi dei convitati, di alcune vivande che essi mangeranno e di altre che essi non mangeranno, per favorire la curiosità, la sorpresa e la fantasia.
10. La creazione dei bocconi simultanei e cangianti che contengano dieci, venti sapori da gustare in pochi attimi. Questi bocconi avranno nella cucina futurista la funzione analogica immensificante che le immagini hanno nella letteratura. Un dato boccone potrà riassumere una intera zona di vita, lo svolgersi di una passione amorosa o un intero viaggio nell'Estremo Oriente.
11. Una dotazione di strumenti scientifici in cucina: ozonizzatori che diano il profumo dell'ozono a liquidi e a vivande, lampade per emissione di raggi ultravioletti (poiché molte sostanze alimentari irradiate con raggi ultravioletti acquistano proprietà attive, diventano più assimilabili, impediscono il rachitismo nei bimbi, ecc.) elettrolizzatori per scomporre succhi estratti ecc. in modo da ottenere da un prodotto noto un nuovo prodotto con nuove proprietà, mulini colloidali per rendere possibile la polverizzazione di farine, frutta secca, droghe ecc.; apparecchi di distillazione a pressione ordinaria e nel vuoto, autoclavi centrifughe, dializzatori. L'uso di questi apparecchi dovrà essere scientifico, evitando p.es. l'errore di far cuocere le vivande in pentole a pressione di vapore, il che provoca la distruzione di sostanze attive (vitamine, ecc.) a causa delle alte temperature. Gli indicatori chimici renderanno conto dell'acidità e della basicità degli intingoli e serviranno a correggere eventuali errori: manca di sale, troppo aceto, troppo pepe, troppo dolce.

martes, 18 de noviembre de 2014

Paris Freakshow




« Voulez-vous voir un androgyne ? c’est une chose rare qu’un androgyne, un être qui ait les deux sexes, qui soit à la fois homme et femme ; la physiologie a même prononcé qu’il n’y a jamais eu de véritable hermaphrodite : eh bien, je vous en montrerai, non pas un, mais vingt, aussitôt que la fantaisie vous en prendra. Voulez-vous voir le cheval de César qui avait des pieds humains, ou celui d’Alexandre qui avait une tête de boeuf ? voulez-vous voir l’hydre, la Chimère, le dragon de Cadmus, le monstre d’Andromède ? voulez-vous voir un griffon, un sphinx, un satyre, un centaure, un triton, une sirène, un cyclope, un Patagon, un pygmée, une Gorgone, un albinos, un vampire, un habitant de la lune ? vous n’avez qu’à dire : tout cela existe à Paris, sur des chariots, sous des tentes, dans des cages, dans des caisses, dans des baquets.

Regardez plutôt les tableaux, les portraits de ce phénomène, qu’on expose en dehors pour allécher les curieux ! tantôt c’est un jeune enfant mâle qui de la gorge comme une nourrice et au moins douze pieds de circonférence ; tantôt c’est une femme haute comme une maison et barbue comme un sapeur ; c’est un géant terrible et fort comme Polyphème, qui parle vingt-deux langues comme M. Silvestre de Sacy ; c’est un nain dont on vous montre la main mignonne par une petite ouverture, et qui tiendrait tout entier dans votre chapeau ; c’est un anthropophage tout nu, les yeux ardents, qui assomme un tigre à grands coups de massue ; ou bien encore c’est une fille sauvage, reine ou princesse pour le moins, qui perce un ours de ses flèches. La foule est là, béante d’étonnement, qui regarde avec admiration sur la toile des lions de mer écumant de rage, des serpents gigantesques broyant des buffles dans leurs replis, des crocodiles démesurés mâchant des hommes comme une feuille de tabac.


Tournez les yeux vers ces tréteaux élevés. C'est là que se joue l'antique parade, que se débitent les grosses facéties, que des mimes en haillons amusent les passants par leurs joyeuses atellanes. C'est sur un théâtre de cette espèce que Bobèche, ce héros du genre niais, divertissait jadis de ses balivernes les bons habitués du boulevard du Temple. En ce moment, voyez, l'attention du public est captivée par une espèce de Gille, qui, à l'exemple du dragon fabuleux, vomit des tourbillons de flamme et de fumée. Il tient dans sa main une ample provision de filasse, qu'il déchire à belles dents ; il se bourre d'étoupe comme un matelas ; il en mange, il en mange à faire peur, puis il jette du feu par la bouche, et la foule ébaubie trouve la farce admirable, et se presse, en trépignant de joie, aux pieds du thaumaturge, possesseur d'un si beau secret.

Mais soudain la scène change. Des musiciens arrivent, et un effroyable charivari commence, qui met tout le quartier en rumeur. Entendez-vous les sons aigus du fifre, qui se font jour à travers les éclats de la trompette, la voix criarde du violon, le bruit retentissant des cymbales, et le tonnerre de la grosse caisse ? Femmes, enfants, vieillards, hommes faits, accourent à l'appel de cet orchestre barbare. Tous les yeux sont fixés sur celui qui tient les cymbales : heureux mortel ! C'est un sauvage des bords de la Seine, une Caraïbe du faubourg Saint-Marceau, dont la figure disparaît aux trois quarts sous une ample barbe postiche, qui porte un diadême de plumes sur la tête, qui a les jambes et les bras couverts d'un sale tricot, couleur de chair. C'est le héros de la fête, il éclipse tout ; il n'y a de regards que pour lui. Et admirez son aplomb : il n'en est nullement embarrassé : il est habitué à l'admiration des hommes et à celle des femmes ; il est blasé là-dessus ; il n'y fait plus attention, et n'est occupé qu'à bien faire sa partie dans le mélodieux concert.

Quand cette musique enragée a duré assez long-temps, et que l'assemblée est suffisamment nombreuse, le maître paraît sur les planches. Le costume du maître consiste en une redingote usée, et un vieux chapeau rond, bien gras, et placé sur le coin de l'oreille. L'air important, la voix rauque, et les mains sales, sont de rigueur. Écoutons :

"Faut voir ça, messieurs et dames ! Un phénomène unique, admirable, indubitable, incomparable ! Une femme sauvage qui mange de la viande crue, comme vous et moi, mangeons de la viande cuite ! Cette demoiselle" (il frappe sur le tableau avec une baguette), "cette demoiselle, âgée de 18 ans environ, et parfaitement belle, comme vous voyez" (il frappe de nouveau sur le tableau), "a été trouvée, il y a quinze ou seize mois, dans les forêts de la Lithuanie. Elle vivait comme les animaux ; elle était nue ; elle ne parlait pas, grimpait sur les arbres, et vivait de chasse, déchirant sa proie avec ses ongles, et la mangeant sans cuisinier comme les bêtes féroces. On a eu beaucoup de peine à la prendre, et on n'a jamais pu l'habituer à une autre nourriture. Si vous voulez vous donner la peine d'entrer, messieurs et dames, vous verrez cette demoiselle" (nouveau coup sur le tableau) "manger avec avidité de la chair crue, de la viande de boucherie. Elle a été vue de toutes les cours de l'Europe ; elle a eu l'honneur de travailler devant leurs majestés l'empereur de Russie, l'empereur d'Autriche et le roi de Prusse ! Ceci est vraiment rare et curieux ! Allons, messieurs et dames, on va commencer à l'instant même, prenez vos billets ; il n'y aura pas place pour tout le monde ! C'est un phénomène vivant, un phénomène sans pareil ! Et pour le voir qu'est-ce qu'il en coûte ? la simple bagatelle de deux sous !"

Cette harangue, usitée, à quelques variantes près, depuis qu'il y a des trompeurs et des dupes, et soutenue d'ailleurs de la magnifique imposture du tableau, ne manque jamais son effet sur la multitude. Les hommes, en cela, sont admirables : ils ressemblent aux animaux qu'on prend avec les mêmes piéges depuis le commencement du monde. Ne pouvant résister à la tentation, les plus curieux ou les plus riches entrent dans la baraque, et le reste les suit d'un oeil d'envie.

Il en est pourtant de cela comme de presque tout ici-bas : la réalité désenchante l'imagination ; on se promettait un plaisir, et on est tout surpris de n'avoir acheté qu'un désappointement. Au lieu de ces brillants personnages qu'on se figurait déjà, au lieu de ces êtres aux formes athlétiques, ornés de bracelets, de colliers, de pendants d'oreilles, et costumés comme des rois de l'Orient, on ne trouve dans l'intérieur que de pauvres diables, mal faits, mal portants, déguenillés, qui vous font peine à voir. Toutes les femmes sont vieilles et laides ; tous les hommes crasseux et difformes, c'est de règle. On vous annonce un joli nain, bien pris dans sa petite taille, frais, coquet, dispos : on vous montre un affreux petit vieillard, à jambes torses, à grosse tête, à voix nasillarde, qui ne peut marcher qu'avec des béquilles, une de ces figures comme il en apparaît dans les rêves quand on est malade.

Dans un autre endroit, on vous présente une pauvre fille, habillée en cannibale, à qui on fait manger des cailloux, et la malheureuse fait semblant de les aimer ; et quand on apporte l'assiette, elle tend la main d'impatience, comme quelqu'un qui a faim, et l'homme qui explique lui secoue le ventre, et vous entendez les pierres s'entrechoquer dans ses entrailles..."



Extrait de Charlatans, jongleurs, phénomènes vivants, etc. (1831), de Victor-Louis-Amédée Pommier

lunes, 10 de noviembre de 2014

Ressuscitez Rocambole






"C'est surtout la création de Rocambole qui valut à Ponson du Terrail son énorme popularité de romancier. Rocambole était devenu littéralement la coqueluche de toute une classe de lecteurs: les cochers en raffolaient, les portières en rêvaient. On en voulait partout, on en voulait toujours. Quand le roman semblait tirer à sa fin, il arrivait de tous les points de la France des lettres suppliantes. Cependant, au bout du vingt-deuxième volume, il fallut bien finir. Mais alors il s'éleva une telle clameur de désespoir que le directeur, effaré, courut chez Ponson:
— Je suis perdu! On menace de se désabonner en masse parce que votre roman est fini.
— Je vous en ferai un autre.
— Ce n'est pas un autre que l'on veut, c'est le même.
— Impossible, puisque Rocambole est mort.
— bien, ressuscitez-le.
—_ Tiens, c'est vrai.
Le lendemain, le directeur annonçait la Résurrection de Rocambole. Aussitôt la France respira. Un immense Merci, mon Dieu! s'échappa de deux cent mille bouches. Comment Rocambole avait-il ressuscité ‘ ? Peu importait aux lecteurs de Ponson du Terrail, et il ne prit pas la peine inutile de le leur expliquer. En pareil cas, Ponson avait un mot magique qui répondait à tout : « Mystère ! » Pour qu'il produisit complètement son effet, il suffisait de le mettre ‘a la, ligne. Exemple:
« On s'étonnera peut-être que notre héros, transpercé au cœur de plusieurs coups de lance, et, pour comble, pendu, dans un de nos feuilletons précédents, au gibet de Montfaucon, où il est resté accroché pendant trois jours, se retrouve si bien vivant et si bien portant dans celui-ci :— Mystère !»
Ce mot terrifiait les lecteurs de Ponson, en les plongeant dans une mer d'hypothèses fantastiques. Parfois, il avait la faiblesse d'ajouter : « Ce mystère sera éclairci plus tard. » Mais il faut lui rendre cette justice qu'il ne l'éclaircissait jamais.
Indépendamment de ces résurrections voulues, il en avait d'involontaires. Pour éviter autant que possible ces fâcheux lapsus de mémoire, on conte qu'il avait pris le parti de se faire confectionner un bataillon de petites poupées chargées de représenter ses personnages, dont elles portaient les noms et les costumes'. A mesure que l'un d'eux était occis, ou mourait de sa mort naturelle, il en supprimait Petfigîe et l'enterrait dans son tiroir. Mais une fois sa bonne, par bêtise ou malice, en rangeant les papiers de monsieur, brouilla si bien les poupées vivantes avec lespoupées mortes qu'il en résulta la plus terrible confusion dans l'ouvrage en cours de publication. — Comment se fait-il que Z., qui était en pleine vie aux dernières nouvelles, soit maintenant mort sans qu'on nous en ait rien dit, et que T., qui était mort, soit maintenant un gaillard plein de santé‘ ? se demandaient les lecteurs perplexes. — Et ils se répondaient : Mystère!
Ponson du Terrail mourut. Ce deuil se perdit dans celui de la France. Mais dès que l'on commença à respirer et que le roman-feuilleton reparut, il se fit cruellement sentir. Les journaux à un son ne pouvaient se consoler. Vainement leur prodiguait-on la monnaie du père de Rocambole, l'abonIIé sccouait la tête, murmurant‘ avec une mélancolie amère‘:
« Ah! ce n'est pas notre Ponson. Qui nous rendra Ponson?» 

Quelques années se passèrent ainsi, et le gémissement de l'abonné ne s'apaisait pas.Alors un directeur eutune idée de génie, et on le vit se frapper le front, comme Archimède, en criant Eurêka: « Puisque Ponson du Terrail, s'était-il dit, ne peut plus ressusciter Rocambole, je vais, moi, ressusciter Ponson. » Et mandant le prote de son journal, il lui ordonna d'annoncer, en tête du numéro du soir, je ne sais plus quel dixième Rocambole, roman POSTHUME de Ponson du Terrail. L'annonce fut répétée dans d'immenses affiches qui couvrirent tous les murs de Paris. Et aussitôt les badauds d'accourir en foule, sans en demander davantage.
L'exemple fut imité par d'autres directeurs de journaux. On retrouva des romans posthumes dans tous les tiroirs de feu Ponson, dans toutes les poches de ses paletots et jusque dans ses bottes. On en retrouva tant que les plus naïfs finirent par soupçonner qu'on les faisait écrire par des somnambules lucides, sous la dictée de l'esprit du défunt.
Le lecteur goulu, qui happait avidement ses inventions les plus énormes, était tellement habitué à lui voir arracher ses héros à la tombe, à les retrouver bien vivants après_ avoir été pourfendus, noyés, mangés par les corbeaux ou hachés menu comme chair à pâté, qu'il ne s'étonna pas lorsqu'on lui ‘annonça de nouveaux romans du défunt.
Cela était dans la tradition et lui sembla tout naturel.
Ainsi il y a eu de pseudo-Rocambole, comme il y avait eu de faux Smerdis, de faux Démétrius, de fausses Jeanne d'Arc, de faux Louis XVII, et l'ombre de Ponson aencore sufli pour gagner des batailles. Alexandre Dumas lui-même n'avait pas trouvé une pareille consécration de sa popularité.
Pas même cela, bonnes gens! Il existait, dans les sous‘sols de la littérature, de pauvres diables d'écrivains que personne ne voulait lire s'ils publiaient un roman en leur nom, et que dévoraient cent mille lecteurs sous le nom de Ponson du Terrail. Cela devint un métier : « Je fais du Ponson !» disait négligemment un bohême qu'on avait connu six mois auparavant en paletot gras et en chapeau roux, et qu'on retrouvait mis presque proprement, sortant d'un restaurant à trente-cinq sous, avec un cure-dents à la bouche.
S'il faut en croire les indiscrétions, ces entrepreneurs de littérature posthume à la Ponson s'étaient associés en commandite et se chargeaient de livrer la marchandise sans retard, sur mesure. Comme dans les manufactures, le travail était soumis au système de la division. Chacun avait sa partie. L'un était préposé à l'histoire, dest-à-dire aux anachronismes;l'autre au sentiment, un troisième aux coups de poignard. Mais hélas l pas un de ces sous-Ponson ne sut atteindre au magnifique entrain avec lequel l'inimitable Ponson en chef prodiguait les coups de poignard et les coups de dague, les ricanements et les rugissements, les imprécations et les malédictions.
Il se produisait quelquefois des erreurs : ainsi l'un des sous-Ponson fit poignarder, rue Copeau, par un homme masqué, le grand seigneur (un bandit déguisé, bien entendu) que son collaborateur avait embarqué trois jours auparavant pour l'Australie. Mais cela n'en ressemblait que mieux à du Ponson. Une erreur plus grave est celle qui fut commise par un garçon plein de zèle et brûlant de se faire remarquer. Il avait eu l'imprudence de mettre de l'esprit et même un peu de français dans le dernier roman de feu Ponson. Aussi personne ne s'y trompa—t-il.
— Ça, du Ponson du Terrail! dit un directeur qui prenait au sérieux le stratagème qu'il avait inventé. Allons donc! Je le connais, le Ponson; j'en ai fait. Ce n'est pas lui qui se serait permis d'être spirituel sans raison !
— De l'esprit! s'écriait un autre, furieux. Vous prenez donc mes abonnés pour des imbéciles ‘?
Bref, le jeune romancier coupable d'un zèle si inopportun fut mis à la porte sans aucun égard.
Puis, sur ces entrefaites, l'Assommoir parut. Les eaux fétides du naturalisme se mirent à déborder de toutes parts et à envahir la littérature. Ponson du Terrail fut démodé. Il garda encore de nombreux fidèles dans les cabinets de lecture, mais ceux qui sont dans le mouvement raillent le vieux jeu de ce descendant des paladins. Les Compagnons de l'épée et le Filleul du roi furent abandonnés pour le Ventre de Paris. 
J'aimais encore mieux Ponson. »  


Victor Fournel, Figures d´hier et d´aujourd´hui