domingo, 25 de diciembre de 2011

Hospitalité médiévale



"Il parait prouvé par de nombreux témoignages que, dans certaines provinces de la vieille France, la mode se conserva longtemps d'exercer envers les hôtes que l'on voulait honorer, l'hospitalité sans réserve encore en usage dans certaines îles de la Polynésie. Après le souper et les mains lavées, quand on avait desservi les épices et les confitures, on offrait une compagne de nuit au visiteur. Cette coutume plus cordiale que décente s'est maintenue, presque jusqu'à nos jours, dans les hôtelleries des bords du Danube et de la Russie méridionale.

Une aussi courtoise réception était le rêve des voyageurs de tout rang; les fiableurs nous apprennent qu'on la devait presque infailliblement à l'invocation de deux saints, patrons de l'hospitalité : saint Martin dont il est question dans le
fabliau de Gombert et des deux clercs, et saint Julien, celui des deux intercesseurs qui, grâce à La Fontaine, est demeuré le plus célèbre. Dans un de ces petits poèmes, un amant qui vient d'obtenir les faveurs de sa maîtresse s'écrie avec enthousiasme :

Saint Julien, qui puet bien tant,
Ne fist à nul homme mortel
Si dous, si bon, si noble ostel !

Eustache Deschamps dit également dans une
de ses spirituelles chansons :

Qui prend bonne femme, je tien
Que son ostel est saint Julien.

Cette coutume était mieux qu'acceptée, elle était idéalisée. Dans le roman de Gérard de Roussillon, on peut voir comment le noble comte Gérard fit à l'envoyé du roi de France les honneurs de sa maison : rien n'y faillait, ni pour le Jour ni pour la nuit, ni pour la table ni pour le rut.

Lacurne de Sainte-Palaye, qui cite cet exemple avec d'autres, ajoute cette remarque, résultat de sa profonde érudition : « Dans l'éloge des seigneurs qui faisaient le mieux les honneurs de leurs châteaux, nos romanciers et nos poètes leur prêtent la même complaisance pour leurs hôtes, que celle des peuples qui habitent le long du Nil, suivant les relations des voyageurs. »

Le même érudit cite, d'un fabliau dont il ne nomme pas l'auteur, un scabreux passage qui ne laisse guère de doute sur la facilité des moeurs de nos paladins. Un chevalier, à la nuit close, sonne du cor à la porte d'un château, où il ne tarde pas à être reçu avec honneur.

La comtesse qui fu courtoise,
De son oste pas ne lui poise,
Ainz li fist tere à grant délit,
En une chambre, un riche lit;
Apèle une souève pucele,
La plus courtoise et la plus bèle.
A conseil li dist : — Bêle amie,
Allez tost, ne vous ennuit mie,

Avec ce chevalier gésir

Je i alassevolentiers,

Que jà ne laissasse pour honte,

Ne fust pour monseigneur le comte

Qui n'est pas encore endormi....

Dans le Chevalier à L´espée, le châtelain met sa fille, gardée il est vrai par une épée enchantée, dans le lit de son hôte, messire Gauvain; et ce noble neveu du roi Artus n'est pas trop renversé par cet excès de courtoisie.

Egalement dans le singulier fabliau de Garin, où nous avons vu un jeune chevalier rendre les robes d'or aux trois fées et prendre sans façon la dépouille d'un chapelain, le capricieux héros arrive sur le vespre au manoir d'une gente châtelaine. La nuit venue, après le dernier repas, celle-ci répète exactement la scène citée par Lacurne de Sainte-Palaye. Elle sacrifie sans scrupule les lois de la pudeur à sa bienveillance pour le nouveau venu. Elle appelle la plus jolie de ses
parentes, qui répond au doux nom de Blancheflor, et lui dit :

— Belle cousine,
Tu t'en iras au chevalier
Que monseigneur héberja hier;
Ne cri ne noise ne feras,
Et avec li te coucheras,

Et feras du tout son plaisir

Et bien li dis que je y alasse
Se le comte ne redoutasse....



Les bergères des bords de la Saône chantent encore un vieux lai, à peine amélioré dans sa gothique prononciation, dont les couplets de deux vers, alternativement répétés et psalmodiés sur un récitatif mélancolique, contiennent un souvenir très net de cette gaillarde hospitalité :

« S'en est du sire de Beaussart — qui s'ot volu marier ; » dès le premier soir de ses noces « en guerre fut mandé. » En son absence, la belle- mère, jalouse de la jeune femme, la maltraite et l'emploie aux plus vils travaux.

Un soir le sire de Beaussard, revenant de guerre, « entend s'amie chanter. » Il la reconnaît à la voix, et la retrouve gardant un troupeau de cochons. Le chevaher cache son indignation; mais quand, après le souper, sa mère, qui ne l'a point
reconnu, lui offre une de ses dariolettes pour compagne de lit, le noble sire, levant sa visière, foudroyé la coupable par ces simples mots :

Sera la pauvre porchère
Que j'aurai à mon coucher..."



Antony MERAY
La vie au temps des Trouvères : croyances, usages, et moeurs intimes des XI, XII, [et] XIII siècles d'après les lais, chroniques, dits et fabliaux

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