miércoles, 2 de octubre de 2013

Le cycloscope


"Écoutons Harry Killer, qui, nous montrant une sorte de lanterneau de verre, comparable à celui d’un phare, bien que de dimensions plus importantes, élevé au milieu de la plate-forme, continue sur le même ton :
— N’en serait-il pas ainsi, que personne ne pourrait encore franchir malgré moi une zone de protection large d’un kilomètre, située à cinq kilomètres des murailles de Blackland, que les rayons de puissants projecteurs parcourent pendant la nuit. Grâce à sa disposition optique, cet instrument, qui a reçu le nom de cycloscope, redresse suivant la verticale cette bande de terrain circulaire, dont le veilleur, qui se trouve au centre de l’appareil, a constamment sous les yeux tous les points énormément grossis. Entrez dans le cycloscope, je vous y autorise, et rendez-vous compte par vous-mêmes.
Notre curiosité vivement excitée, nous profitons de la permission, et nous pénétrons dans le lanterneau par une porte faite d’une énorme lentille jouant sur des charnières. À peine y sommes-nous enfermés, que le monde extérieur change d’aspect à nos yeux. De quelque côté qu’ils se portent, nous n’apercevons d’abord qu’une muraille verticale, qu’un réseau de traits noirs divisé en une multitude de petits carrés distincts. Cette muraille, dont la base est séparée de nous par un abîme de ténèbres, et dont le sommet nous paraît s’élever à une hauteur prodigieuse, semble faite d’une sorte de lumière laiteuse. Toutefois, nous ne tardons pas à constater que sa couleur est loin d’être uniforme, mais qu’elle est, au contraire, la résultante d’une infinité de taches de tonalités différentes, aux contours assez indécis. Un instant d’attention nous montre que ces taches sont, les unes, des arbres, les autres, des champs ou des chemins, d’autres encore, des hommes en train de travailler la terre, le tout suffisamment grossi pour être reconnu sans effort.
— Vous voyez ces nègres, dit Harry Killer, en nous désignant deux des taches en question, que sépare un grand intervalle. Admettons qu’ils aient l’idée de s’enfuir. Ce ne serait pas long.
Tout en parlant, il a saisi un transmetteur téléphonique.
— Cent onzième cercle ; rayon quinze cent vingt-huit, dit-il. Puis, s’emparant d’un autre transmetteur, il ajoute :
— Quatorzième cercle. Rayon six mille quatre cent deux. Enfin, se tournant vers nous :
— Regardez bien, nous recommande-t-il.
Après quelques instants d’attente, pendant lesquels il ne survient rien de particulier, l’une des taches est masquée tout à coup par un nuage de fumée. Quand la fumée s’est dissipée, la tache a disparu.
— Qu’est devenu l’homme qui travaillait là ? demande Mlle Mornas d’une voix étranglée par l’émotion.
— Il est mort, répondit froidement Harry Killer.
— Mort !… nous écrions-nous. Vous avez tué sans raison ce malheureux !…
— Rassurez-vous, ce n’est qu’un nègre, explique Harry Killer avec une parfaite simplicité. Marchandise sans valeur. Quand il n’y en a plus, il y en a encore. Celui-ci a été démoli par une torpille aérienne. C’est une sorte de fusée qui porte jusqu’à vingt-cinq kilomètres, et dont vous avez pu apprécier la rapidité et la précision.
Pendant que nous écoutons ces explications, autant du moins que nous le permet le trouble que nous cause une aussi abominable cruauté, quelque chose est entré dans notre champ visuel, s’est élevé rapidement le long de la muraille laiteuse, et la seconde tache a disparu à son tour.
— Et cet homme ? interroge Mlle Mornas, haletante. Est-il mort, lui aussi ?
— Non, répond Harry Killer, celui-là est vivant. Vous allez le voir dans un instant.
Il sort, entouré de sa garde qui nous pousse au-dehors. Nous voici de nouveau sur la plate-forme de la tour. Nous regardons autour de nous, et, à quelque distance, nous voyons accourir, avec la vitesse d’un météore, un appareil semblable à celui qui nous a transportés ici. Suspendu au-dessous du plateau inférieur, nous distinguons un objet qui se balance.
— Voici le planeur, dit Harry Killer, qui nous apprend ainsi le nom de la machine volante. Dans moins d’une minute, vous saurez s’il est possible d’entrer ici ou d’en sortir malgré moi.
Le planeur s’approche rapidement, en effet. Il grossit à vue d’oeil… Nous frissonnons soudain : l’objet qui oscille au-dessous de lui, c’est un nègre, qu’une espèce de tenaille géante a saisi par le milieu du corps.
Le planeur s’approche encore… Il passe au-dessus de la tour… Horreur ! la tenaille s’est ouverte, et le malheureux nègre est venu s’écraser à nos pieds. Hors de sa tête broyée, la cervelle a jailli de toutes parts, et nous sommes éclaboussés de sang.
Un cri d’indignation est sorti de nos poitrines. Mais Mlle Mornas ne se contente pas de crier, elle agit. Les yeux étincelants, pâle, les lèvres exsangues, elle bouscule ses gardiens surpris et se précipite sur Harry Killer.
— Lâche !… Misérable assassin !… lui crie-t-elle en plein visage, tandis que ses petites mains se nouent à la gorge du bandit.
Celui-ci s’est dégagé sans effort, et nous tremblons pour l’audacieuse. Hélas ! nous ne pourrions lui porter secours. Les gardes se sont emparés de nous et nous maintiennent à demi renversés.
Heureusement, il ne semble pas que le despote ait, pour le moment du moins, l’intention de punir notre courageuse compagne, que deux hommes ont entraînée en arrière. Si sa bouche a un rictus cruel, quelque chose comme une expression de plaisir passe dans ses yeux, qu’il tient fixés sur la jeune fille encore toute frémissante.
— Eh ! eh !… fait-il, d’un ton assez bonhomme, elle a du sang, la pouliche.
Puis, repoussant du pied les restes du misérable nègre :
— Ça !… dit-il. Il ne faut pas vous émouvoir pour si peu, ma petite.
Il descend, on nous entraîne à sa suite, et on nous ramène dans cette salle, si richement meublée d’une table et d’un unique siège, que j’appellerai désormais pour cette raison la salle du Trône. Harry Killer prend place sur ledit trône et nous regarde.
Quand je dis qu’il nous regarde !… À la vérité, il ne fait attention qu’à Mlle Mornas. Il tient, fixés sur elle, ses yeux effrayants, dans lesquels s’allume peu à peu une lueur mauvaise.
— Vous connaissez maintenant mon pouvoir, dit-il enfin, et je vous ai prouvé que mes offres ne sont pas à dédaigner. Je les renouvelle pour la dernière fois…"

Jules (et Michel) Verne, L´Étonnante aventure de la mission Barsac

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