viernes, 5 de septiembre de 2014

Guinefort, le saint canidé





De l´adoration du chien Guinefort

"Il faut parler en sixième lieu des superstitions outrageantes, dont certaines sont outrageantes pour Dieu, et d´autres pour le prochain. Sont outrageantes pour Dieu les superstitions qui accordent les honneurs divins aux démons ou à quelque autre créature: c´est ce que fait l´idolâtrie, et c´est ce que font les misérables femmes jeteuses de sorts, qui demandent le salut en adorant des sureaux ou en leur faisant des offrandes; méprisant les églises ou les reliques des saints, elles portent à ces sureaux, ou à des fourmilières ou à d´autres objets, leurs enfants, affin que guérison s´ensuive.

C´est ce qui se passait récemment dans le diocèse de Lyon où, comme je prêchais contre les sortilèges et entendais les confessions, de nombreuses femmes confessèrent qu élles avaient porté leurs enfants à saint Guinefort. Et comme je croyais que c´était quelque saint, je fis mon enquête et j´entendis pour finir qu´il s´agissait d´un chien lévrier, qui avait été tué de la manière suivante. 
 
Dans le diocèse de Lyon près du village des moniales nommé Neuville, sur la terre du sire de Villars, a existé un château, dont le seigneur avait de son épouse un petit garçon. Un jour, comme le seigneur et la dame étaient sortis de leur maison et que la nourrice avait fait de même, laissant seul l'enfant dans le berceau, un très grand serpent entra dans la maison et se dirigea vers le berceau de l'enfant. A cette vue, le lévrier, qui était resté là, poursuivant le serpent et l'attaquant sous le berceau, renversa le berceau et couvrit de ses morsures le serpent, qui se défendait et mordait pareillement le chien. Le chien finit par le tuer, et il le projeta loin du berceau. Il laissa le berceau et de même le sol, sa propre gueule et sa tête, inondés du sang du serpent. Malmené par le serpent, il se tenait dressé près du berceau. Lorsque la nourrice entra, elle crut, à cette vue, que l'enfant avait été dévoré par le chien et elle poussa un hurlement de douleur très fort. L'entendant, la mère de l'enfant accourut à son tour, vit et crut les mêmes choses, et poussa un cri semblable. Pareillement, le chevalier, arrivant là à son tour, crut les mêmes choses, et tirant son épée, tua le chien. Alors s'approchant de l'enfant, ils le trouvèrent sain et sauf, dormant doucement. Cherchant à comprendre, ils découvrirent le serpent déchiré et tué par les morsures du chien. Reconnaissant alors la vérité du fait, et déplorant d'avoir tué si injustement un chien tellement utile, ils le jetèrent dans un puits situé devant la porte du château, jetèrent sur lui une très grande masse de pierres et plantèrent à côté des arbres en mémoire de ce fait. Or, le château fut détruit par la volonté divine et la terre, ramenée à l´état de désert, abandonnée par l´habitant.

Mais les paysans, entendant parler de la noble conduite du chien et dire comment il avait été tué, quoique innocent et pour une chose dont il dut attendre du bien, visitèrent le lieu, honorèrent le chien tel un martyr, le prièrent pour leurs infirmités et leurs besoins, et plusieurs y furent victimes des séductions du diable qui, par ce moyen, poussait les hommes dans l´erreur. Mais surtout, les femmes qui avaient des enfants faibles et malades les portaient en ce lieu. Dans un bourg fortifié distant d´une lieue de cet endroit, elles allaient chercher une vieille femme qui leur enseignait la manière rituelle d'agir, de faire des offrandes aux démons, de les invoquer, et qui les conduisait en ce lieu.
Quand elles y parvenaient, elles offraient du sel et d´autres choses ; elles pendaient aux buissons alentour les langes de l´enfant ; elles plantaient un clou dans les arbres qui avaient poussé en ce lieu ; elles passaient l´enfant nu entre les troncs de deux arbres : la mère, qui était d´un côté, tenait l´enfant et la jetait neuf fois à la vieille femme qui était de l´autre côté. En invoquant les démons, elles adjuraient les faunes qui étaient dans la forêt de Rimite de prendre cet enfant malade et affaibli qui, disaient-elles, était à eux ; et leur enfant, qu´ils avaient emporté avec eux, de le leur rendre gras et gros, sain et sauf.

Cela fait, ces mères infanticides reprenaient leur enfant et le posaient nu au pied de l´arbre sur la paille d´un berceau, et avec le feu qu´elles avaient apporté là, elles allumaient de part de d´autre de la tête deux chandelles mesurant un pouce, et elles les fixaient dans le tronc au-dessus. Puis elles se retiraient jusqu´à ce que les chandelles fussent consumées, de façon à ne pas entendre les vagissements de l´enfant et à ne pas le voir. C´est en se consumant ainsi que les chandelles brûlèrent entièrement et tuèrent plusieurs enfants, comme nous l´avons appris de plusieurs personnes. (…)
Lorsque les mères retournaient à leur enfant et le trouvaient vivant, elles le portaient dans les eaux rapides d´une rivière proche, appelée la Chalaronne, où elles le plongeaient neuf fois : s´il s´en sortait et ne mourait pas sur-le-champ ou juste après, c´est qu´il avait les viscères bien résistants.

Nous nous sommes transporté en ce lieu, nous avons convoqué le peuple de cette terre, et nous avons prêché contre tout ce qui était dit. Nous avons fait exhumer le chien mort et couper le bois sacré, et  nous avons fait brûler celui-ci avec les ossements du chien. Et j'ai fait prendre par les seigneurs de la terre un édit prévoyant la saisie et le rachat des biens de ceux qui afflueraient désormais  en ce lieu pour une telle raison."

Étienne de Bourbon, XIIIe siècle

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