jueves, 22 de marzo de 2018

Les hommes-ânes de Restif de la Bretonne


[Voici le commentaire de Rétif concernant l’illustration de cet épisode :
« 15e estampe : Un jeune homme-âne exprimant sa tendresse à une jeune personne de son espèce. Ils sont vus par Hermantin. Le galant dit à sa maîtresse : « Hhîh hhouh ; hhânh, hhânh » ! »]




«Après avoir déposé les deux nouveaux Élèves, Alexandre, Hermantin & Dagobert repartirent pour continuer leurs decouverte. Ils trouvèrent bientôt une île nouvelle, sous la même latitude que l’île chevale, mais beaucoup moins favorisée de la nature : les chardons y croissaient sur un sol aride ; il y avait aussi une sorte de vigne, qui portait de fort petits raisins. On pouvait à peine la traverser, à cause des plantes sarmenteuses qui embarrassaient les endroits maigres. Tandis que les trois volants examinaient cette nouvelle terre, ils entendirent à quelques pas d’eux une conversation tout à fait originale. Je ne vous en rapporterai que le commencement : les traits  – marqueront le changement d´interlocuteur.  –Hhîhhhouh ; hhânh, hhânhh ! –Hhinnh ! hhouih ! hhânh-hhîh. –Hrrhh ! hhîh hhôuh hhîh hhouih hhouhîmh hhâimhh ! hhi ! hihinnhinh-hhîh !, etc. Hermantin, fut curieux de voir les personnages qui parlaient ce langage agreste et peu poli. Un coup de parasol l’éleva de dix pieds ; il plana sur les buissons et vit, derrière un hallier de ceps et de ronces, deux êtres, dont l’un parlait à l’autre un langage encore plus éloquent. La jeune femelle, dont le figure tenait de l’ânesse et de la femme, cueillait des chardons fort tendres, qu’elle mêlait avec des jets nouveaux de vigne sauvage ; tandis que le jeune homme-âne, son amant, employait pour la déterminer à le satisfaire le double langage dont j’ai parlé. La jeune Amante, sans quitter son occupation, écoutait et regardait en souriant. Je suis en état de vous traduire la harange de sir Aliboron: -Hhîh hhouh; hhânh, hhánh! (Je te desire; laisse, laisse!) -Hhinnh! hhouih! hhânh-hhíh (Eh-non! finis!" laisse-moi). -Hhrrhh! hhîh hhônh hhîh hhouih hhouhîmh hhâimhh! hhi! hihinnhinh-hhîh (Ah! je vais bien te faire m´écouter! alons-vite! souffre-moi!) Telle est la fine galanterie dans l´Ile-asine et je ne vois pas qu´elle vaille moins quáilleurs.

Des paroles, cet amant pressant allait sans doute aller aux effets-car il était fort ardent- et sa maîtresse souriait, lorsque celle-ci, comme toutes les femmes en cas pareil jeta un coup d’oeil pour être sûre qu’elle n’était point vue. Elle aperçut le jeune Hermantin, qui regardait par-dessus les arbustes*. Effrayée, elle fit un bond, une pétarade, et s’enfuit. Le jeune homme-âne, plus courageux, resta, les yeux fixés sur le gros oiseaux. Hermantin lui fit des signes et se mit à braire de son mieux. Ce qui fit sourire l’homme-âne, apparemment parce qu’Hermantin écorchait la langue, au lieu de la parler. En même temps Alexandre et son neveu Dagobert s’approchèrent ; ils saisirent le jeune homme-âne, tandis qu’il était occupé d’Hermantin, mais ils ne le retinrent que pour lui faire de bons traitements. Tandis qu’ils le tenaient, son amante revint timidement, et elle regarda entre les branches des arbrisseaux. Hermantin qui l’aperçut, l’alla surprendre, et malgré ses efforts pour s’échapper, il l’amena auprès de son amant. Là, on les caressa tous deux ; on leur donna du pain-de-froment & des châtaignes, qu'ils parurent aimer passionnément : car la Jeune-fille ayant d'aboid refusé de toucher au pain, elle ne sentit pas plutôt la châtaigne, qu'elle se jeta dessus , en mangea autant qu'on lui en voulut donner, & resta volontiers. Alexandre crut devoir fairetransporter cette nouvelle Espèce à l'Ile-Christine ; il les y envoya par son Fils & son Neveu, voulant rester dans l'Ile-asine, pour en examiner les finguliers Habitans. Il n'eut pas la peine de les chercher. Lorsque les deux Jeunes-gens qu'il fesait enlever, se sertirent emportés, ils firent un braiement si fort, que toute l'Ile en retentit. | Aussitôt les Hommes-ânes accoururent de-toutes-parts, pour savoir ce que c'était. Ils ne trouvèrent plus leurs deux Compatriotes, mais ils apperçurent avec étonnement Alexandre qui leur fit des signes d´amitié. Ils s´approchèrent de lui assez stupidement, mais comme il avait peu de provisions, il se contenta de leur offrir, en signe de bonne-intelligence, des bouts de farmens encore tendres et des coeurs-de-chardon qu´ils mangèrent. Il ne lui falut pas davantage pour acquerir leur familiarité. Du reste, ils étaient lents, opiniâtres et durant les deux jours qu´il passa avec eux, en attendant ses compagnons, il n´eut lie  d´être content que de la jeunesse qui paraissait assez vive. Les hommes et les femmes-ânes étaient fort sobres, ils ne s´amusaient pas à des jeux, comme les hommes-chevaux, les deux sexes ná vaient qu´un penchant, celui de l´amour: mais aussi celui-là étiait si puissant en eux, qu´il valait tous les autres: Hommes, Femmes, Jeunes-gens, tout ne respirait que la volupté ; tous la cherchaient avec empressement , & s´y livraient presque sans mesure, après l'avoir trouvée. Il paraît que toute l'espèce vivait en communauté, & que les Femelles elles-mêmes caressaient indifféremment tous les enfants. Alexandre restait quelquefois plusieurs heures en contemplation et ne pouvait s´empêcher de se dire sans cesse: -Mais ils sont heureux dans leur brutitude, ces bons HOmmes-ânes! ils sentent vivement, ils jouissent avec transport, ils trouvent facilement l´Objet de leur désir: que faut-il de plus, pour être heureux! hélas! que leur donnerions-nous, quand nous parviendrions à les élever à notre degré d´intelligence et de raison! Ne serait-ce pas une perte réelle pour seux, s´ils prenaient en même temps nos inquiétudes, nos passions intéressées et basses, notre fatale science du bien et du mal, et la connaissance de la mort! Ah! que faisons-nous! Ce fut ainsi que relféchissait le prudent et sensible Alexandre, pendant les deux jours qu´il resta seul dans l´Ile-asine. Il trouva cependant, après un mûr examen, que ces Hommes-ânes pouvaient être utiles, non à faire des Académiciens, mais de vigoureus Portefaix : cette idée n'eut pas d'exécution, parce-que tôt ou tard, elle aurait plongé ces Malheureus dans l'esclavage. Les deux jeunes Volans ses compagnons, revinrent le soir du second jour, & il se trouva qu'Hermantin avait tenu en route à son cousin Dagobert des discours du même genre que les réflexions de son Père. Vous verrez dans peu, que c'était aussi le sentiment d'un Peuple de Sages, que les jeunes Princes doivent aler visiter..."

Restif de la Bretonne, La Découverte australe par un homme volant, ou Le Dédale français (1781)

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