miércoles, 30 de enero de 2019

Le monomane respectueux



"J'ai trouvé Glenadel assis sur son lit, ayant une corde autour du cou, fixée par l'autre bout au chevet de son lit; il avait les bras liés ensemble au poignet avec une autre corde Pour motiver mon rapport, je ne crois pouvoir mieux faire que de rapporter la conversation qui a eu lieu entre Glenadel et moi, en présence de son frère et de sa belle-soeur. D. Êtes-vous malade? R. Je me porte bien, ma santé n'est que trop bonne. D. Comment vous appelezvous ? R. Jean Glenadel. D. Quel âge avez-vous? R. Quarante-trois ans; je suis né en 96, voyez si cela ne fait pas le compte. D. Est-ce de force ou de votre consentement que vous êtes ainsi attaché ? 'r R.C'est de mon consentement, et je t'ai même demandé. D. Et pourquoi cela? R. Pour m'empêcher de commettre un crime dont j'ai horreur et que je me sens malgré moi porté a commettre. D. Et quel est donc ce crime? R. J'ai une idée qui m'obsède et dont je ne suis plus maître; il faut que je tue ma belle-soeur, et je le ferai si je n'en suis empêché. D. Depuis quand avez-vous cette idée? R. Il y a environ six ou sept ans. D. Mais avez-vous a vous plaindre de votre belle-sœur? R. Du tout, monsieur; c'est une idée malheureuse que j'ai la, et je sens qu'il faut queje la mette a exécution. D. Avez-vous jamais eu l'idée de tuer aucune autre personne que votre belle-sœur? R. J'eus d'abord la pensée de tuer ma mère, et ceci me prit a l´âge de seize à dix-sept ans, lorsque je commençai a être homme, en 1812 je me le rappelle bien; depuis je n'ai pas eu une heure de bonheur, et j'ai été le plus malheureux des hommes. D. Vous surmontâtes cette malheureuse pensée? R. En 1822, je ne pouvais plus résister, j'avais alors vingt-cinq à vingt-six ans; pour m'ôter cette malheureuse idée de la tête, je partis pour l'armée en qualité de remplaçant; je fus deux ans en Espagne avec mon régiment, puis je rentrai en France mais mon idée fixe me suivait partout plus d'une fois je fus tenté de déserter pour aller tuer ma mère. En 1826, on me donna un congé illimité que je n'avais point sollicité, et, rentré dans la maison paternelle, ma funeste idée y rentra avec moi. Je passai quatre ans avec ma mère, ayant toujours un penchant irrésistible à vouloir la tuer. D. Que fîtes-vous alors? H. Alors, monsieur, voyant que j'allais commettre infailliblement un crime qui m'épouvantait et me faisait horreur, pour ne pas succomber a cette tentation, je remplaçai de nouveau à l'armée, c'était après 1830 je quittai pour la deuxième fois la maison paternelle, mais mon Idée me suivit encore et enfin j'étais comme décidé a déserter pour aller tuer ma mère. D. Vous aviez donc a vous plaindre de votre mère? R. Non, monsieur, je l'aimais bien aussi avant de partir je me
dits « Aller tuer ta mère, qui a eu tant de soin de a ton enfance, qui t'aime tant, malgré la funeste idée que tu nourris contre elle! Non,je ne le ferai pas. Mais il faut pourtant bien que tu tues quelqu'un. Et c'est alors que me vint l'idée de tuer ma bette-sœur; je me le rappelle bien, j'étais a Dax, c'était en 1832. L'on m'annonça, par erreur, que ma belle-soeur était morte_ c'était une autre parente qui était déc
edée, et alors j'acceptai le congé que l'on me donna, ce que je n'aurais pas fait si j'eusse cru que ma belle sœur fût encore en vie: aussi, lorsque j'arrivai chez moi et que j'appris qu'elle n´était pas morte, j'éprouvai un saisissement, un serrement de coeur qui me fit beaucoup de mal, et mon idée reprit son cours. D. Quel est l'instrument que vous préféreriez pour donner ta mort a votre belle-sœur? Ici Glenadel s'attendrit, ses yeux se baignent de larmes, il regarde sa belle-soeur et répond L'instrument le plus doux! Mais, quel qu'il fût, une fois commencé je sens qu'it faudrait la voir morte, et c'est sûr comme Dieu est Dieu. D. Ne craindriez vous pas de plonger votre frère et vos petits neveux dans la misère et dans le désespoir? R. Cette idée me vient un peu, mais l'on me tuerait et je ne les verrais pas, on se débarrasserait d'un monstre tel que moi, je cesserais de vivre; je ne puis espérer d'autre bonheur.
Alors je me suis rappelé que M. Gransault de Satviat, mon confrère et ami, qui est actuellement a Paris, m'avait parlé, il y a environ un an, d'un jeune homme qui, quelques années auparavant, était
venu chez lui, accompagné de sa mère, pour le consulter pour un cas analogue a celui dans lequel se trouve Glenadel; et comme ces cas sont extrêmement rares, j'ai pensé que ce pouvait bien être Glenadel lui-méme. Je lui ai donc demandé si c'était lui qui avait été consulter mon confrère, et il m'a répondu affirmativement. D. Et que vous conseilla M.Grandsault? R. Il me donna d'excellents conseils, et plus tard il me saigna. D. Fûtes-vous soulagé à la suite de cette saignée? R. Je n'éprouvai pas le moindre soulagement; ma mauvaise idée me poursuivit avec la même force. D. Je vais donc faire mon rapport sur votre état mental, et il s'ensuivra que vous serez mis dans une maison de santé, ou l'on vous guérira peut-être de votre folie. R. Me guérir n'est pas possible; mais faites votre rapport au plus vite, cela presse, je ne puis plus me maîtriser. D Il taut que vos parents vous aient donné de bons principes de morale, qu'ils vous aient donné de bons exemples, il faut que vous-même vous ayez l'âme honnête pour avoir résisté si longtemps a cette terrible tentation. Ici Glenadel s'attendrit de nouveau, il verse des larmes et répond Monsieur, vous devinez cela; mais cette résistance m'est plus pénible que la mort aussi je sens que je ne puis plus résister, et je vais tuer ma belie-soeur si je n'en suis empêché, et c'est sûr comme Dieu est Dieu. » Glenadel, lui ai-je dit, avant de vous quitter je vous demande une grâce résistez encore quelques jours; vous ne verrez pas longtemps votre belle-soeur, nous allons travailler a vous tirer d'ici, puisque vous le désirez tant.–Monsieur je vous remercie, et je ferai en sorte de ce que vous me recommandez.
» J'étais sorti de la maison et comme j'allais monter a cheval pour m'en aller, Glenadel m'a fait rappeler, et, m'étant rendu auprès de lui, il me dit Dites a ces messieurs que je les prie de me mettre dans un lieu d'où je ne puisse m'évader, car je ferai des tentatives pour le faire; et, si je puis m'échapper, pour le coup ma belle-sœur est morte, je ne m'évaderai que pour la tuer dites a ces messieurs que c'est moi-même qui vous l'ai dit. –Je l'ai assuré que je le ferais. Mais comme je le voyais dans une grande exaltation, je lui ai demandé si la corde qui lui liait les bras était assez forte, et s'il ne se sentait pas la force de se délier.– il a fait un essai et m'a dit je crains que si. Mais si je vous procurais quelque chose qui put vous tenir les bras plus fortement liés, l'accepteriez-vous?–Avec reconnaissance, monsieur. –Dans ce cas, je prierai le brigadier de la gendarmerie de me prêter ce dont il se sert pour lier les mains aux prisonniers, et je vous l'enverrai. Vous me ferez plaisir.
» Je me proposais de faire plusieurs visites à Glenadel pour m'assurer de son état mental; mais, d'après la longue et pénible conversation que j'ai eue avec lui; d'après ce que m'avait dit mon confrère, M. Grandsault; d'après ce que m'ont rapporté le frère et la belle-soeur de Glenadel, qui sont bien affligés du triste état dans lequel se trouve leur malheureux frère; sans nouvelles observations, je demeure bien convaincu que Jean Glenadel est atteint de monomanie délirante, caractérisée chez lui par un penchant irrésistible au meurtre~ monomanie dont fut atteint Papavoine et autres, heureusement en petit nombre.
En foi de ce, à Brunet, commune de Marminiat le vingt et un mai mil huit cent trente-neuf. CALMEILLES, officier de santé. »

In Jules-Gabriel-François Baillarger, Recherches sur l’anatomie, la physiologie et la pathologie du système nerveux, Paris, 1847

No hay comentarios:

Publicar un comentario