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martes, 27 de marzo de 2012

Les chiens de sang



« Nous ne finirons pas l'histoire de Cuba, sans dire quelques mots de ces fameux chiens de guerre, qu'on y dressait pour faire la chasse aux nègres fugitifs, pour les éventrer dans les combats, ou pour les déchirer, lorsqu'ils étaient prisonniers, dans les jeux sanglants du cirque.

Quelques historiens ont cru que ces chiens étaient originaires du pays. Mais il paraît certain que les Espagnols ne trouvèrent à leur arrivée aux Antilles qu'une seule espèce de chiens, appelés alco par les indigènes. Ces chiens étaient d'une race bien différente de ceux de l'Europe; car ils n'aboyaient pas. Les Indiens d'Española les engraissaient avec soin, et les considéraient comme un mets succulent. Les chiens de guerre avaient donc été amenés d'Europe ; et, en effet, ils ressemblent en tous points aux chiens de berger; et leur férocité même était moins le résultat de leur naturel que d'une éducation spécialement appropriée aux cruels services qu'on exigeait d'eux. Les éleveurs n'étaient que les descendants des anciens boucaniers, qui n'avaient pas voulu renoncer à la vie des bois et qui continuaient, sous le nom de chasseurs, l'existence vagabonde de leurs pères. Leurs vêtements, leur nourriture, leurs habitudes étaient les mêmes; ils avaient seulement ajouté à leur industrie le commerce des chiens qu'ils vendaient, après les avoir dressés.

« La manière dont ils les accoutumaient à ces exploits sanglants était aussi simple que cruelle. Dès que le petit chien était enlevé à sa mère, on le plaçait dans une cage dont les barreaux de fer étaient placés de manière à lui laisser passer la tête. En dehors, et à sa portée, l'on plaçait un vase, contenant du sang et des entrailles d'animaux, en ayant soin, toutefois, de n'en donner que de petites quantités, de manière quel appétit de l'animal fût toujours excité par l'abstinence.
Lorsqu'il est bien accoutumé à cette nourriture, que ses instincts naturels et les privations calculées le font dévorer avec avidité, on renonce à l'usage des vases, et l'on dépose le sang et les entrailles dans le ventre d'un mannequin peint en noir et ayant toute l'apparence d'un nègre.

Le mannequin est suspendu à la partie supérieure de la cage et à la portée du chien, auquel on a fait préalablement subir une plus longue abstinence. Les choses sont d'ailleurs disposées de telle manière que le sang dégoutte lentement du corps du mannequin, et quelques débris d'entrailles peuvent s'apercevoir sortant du ventre. Le chien affamé se contente d'abord de lécher le sang qui tombe à ses pieds; puis son attention est attirée vers cette ligure, d'où s'échappe cette rare et insuffisante nourriture; il s'élance et saisit les portions d'entrailles qu'on a laissées visibles. Enfin, excité par une -faim toujours croissante, animé par ses gardiens, il saisit le mannequin par le milieu du corps, lui ouvre le ventre à coups de dents et en dévore tout le contenu. Ajoutons que toujours ceux qui lui apportent sa nourriture, sont des blancs, qui le flattent, le caressent et l'accoutument à y voir en eux des maîtres et des amis.

Bientôt il est accoutumé à cette nouvelle forme de repas; et, dès que le mannequin se balance dans sa cagé, il s'élance et le déchire. Alors on donne à ces figures une ressemblance plus exacte avec les nègres; on les fait mouvoir à distance; on leur imprime tous les mouvements de l'homme; on les approche de la cage où est renfermé l'animal affamé. Celui-ci se précipite sur les barreaux , cherche à saisir la Proie et fait entendre des aboiements furieux. Enfin, lorsque sa fureur et son appétit sont également excités, on lui donne la liberté; il court sur sa victime que les instructeurs font débattre en efforts simulés sous sa dent impitoyable. Puis , lorsque le sanglant exercice a été souvent répété, on en fait l'application sur l'homme vivant, en conduisant le jeune chien, en compagnie d'une meute bien dressée, à la chasse aux nègres fugitifs. Là se développent bien rapidement les instincts féroces que l'éducation a fait naître, et les malheureux nègres sont dépistés dans leurs plus secrètes retraites.

Souvent il arrivait que les chasseurs ne pouvaient suivre leurs meutes. Dans ce cas, la mort de la victime était certaine; dès que les chiens l'atteignaient, elle était aussitôt déchirée et dévorée. Mais, lorsque le chasseur était à portée du gibier humain, il s'empressait aussitôt de museler tous les chiens; la victime était saisie, et on lui passait autour du cou un collier de fer. Ace collier étaient suspendus plusieurs crochets, disposés de manière à ce que, si le prisonnier voulait s'échapper, il s'accrochât infailliblement aux lianes et aux branches qu'il rencontrait partout sur son passage. Il arrivait cependant quelquefois que, malgré ces cruelles précautions, le prisonnier tentait de s échapper en prenant une course rapide à travers les bois. Aussitôt les chiens étaient démuselés , et il n'y avait plus de grâce pour la victime. Saisie par les chiens, elle était immédiatement mise en morceaux, et le chasseur se réservait la tête, pour laquelle il recevait des autorités une récompense pécuniaire.

Ainsi que nous l'avons dit, les chasseurs faisaient de ces meutes ainsi dressées un commerce très lucratif. Rochambeau en fit venir au Cap pour combattre ses ennemis noirs, et il arriva que ces cruels auxiliaires causèrent des accidents terribles. Quelques chiens se détachèrent, se répandirent dans les environs du Cap, et de jeunes enfants furent dévorés sur les grands chemins. Une fois ils pénétrèrent dans la cabane d'un pauvre cultivateur et enlevèrent un enfant endormi sur le sein de sa mère.

(Élias Regnault Histoire des Antilles: et des colonies françaises, espagnoles, anglaises, , Firmin-Didot, 1849, p. 101-3)

viernes, 18 de marzo de 2011

Le Sopha libertin



— Je voudrais bien, interrompit Schah- Baham, savoir un peu ce que vous faisiez pendant que vous étiez femme.

— Il ne m'est resté de ce que je faisais alors qu'une idée fort imparfaite, répondit Amanzéi. Ce dont je me souviens le plus, c'est que j'étais galante dans ma jeunesse, que je ne savais ni haïr ni aimer; que, née sans caractère, j'étais tour à tour ce qu'on voulait que je fusse, ou ce que mes intérêts et mes plaisirs me forçaient d'être; qu'après une vie fort dérangée, je finis par me faire hypocrite, et qu'enfin je mourus en m'occupant, malgré mon air prude, de ce qui, dans le cours de ma vie, m'avait amusé le plus.

« Ce fut apparemment du goût que j'avais eu pour les sophas, que Brahma prit l'idée d'enfermer mon âme dans un meuble de cette espèce. Il voulut qu'elle conservât dans cette prison toutes ses facultés, moins sans doute pour adoucir l'horreur de mon sort que pour me la faire mieux sentir. Il ajouta que mon âme ne commencerait une nouvelle carrière que quand deux personnes se donneraient mutuellement et sur moi leurs prémices. Il me restait assez d'idées, et de ce que j'avais fait, et de ce que j'avais vu, pour sentir que la condition à laquelle Brahma voulait bien m'accorder une nouvelle vie, me retenait pour longtemps dans le meuble qu'il m'avait choisi pour prison; mais la permission qu'il me donna de me transporter, quand je le voudrais, de sopha en sopha, calma un peu ma douleur. Cette liberté mettait dans ma vie une variété qui devait me la rendre moins ennuyeuse; d'ailleurs, mon âme était aussi sensible aux ridicules d'autrui que lorsqu'elle animait une femme, et le plaisir d'être à portée d'entrer dans les lieux les plus secrets, et d'être en tiers dans les choses que l'on croirait les plus cachées, la dédommagea de son supplice.

Après que Brahma m'eut prononcé mon arrêt, il transporta lui-même mon âme dans un sopha que l'ouvrier allait livrer à une femme de qualité qui passait pour être extrêmement sage; mais s'il est vrai qu'il y ait peu de héros pour les gens qui les voient de près, je puis dire aussi qu'il y a, pour leur sopha, bien peu de femmes vertueuses.

« Un sopha ne fut jamais un meuble d'antichambre, et l'on me plaça, chez la dame à qui j'allais appartenir, dans un cabinet séparé du reste de son palais, et où, disait-elle, elle n'allait souvent que pour méditer sur ses devoirs, et se livrer à Brahma avec moins de distraction. Quand j'entrai dans ce cabinet, j'eus peine à croire, à la façon dont il était orné, qu'il ne servît jamais qu'à d'aussi sérieux
exercices. Ce n'était pas qu'il fût somptueux, ni que rien y parût trop recherché; tout y semblait, au premier coup d'œil, plus noble que galant : mais, à le considérer avec réflexion, on y trouvait un luxe hypocrite, des meubles d'une certaine commodité, de ces choses enfin que l'austérité n'invente pas, et dont elle n'est pas accoutumée à se servir. Il me sembla que j'étais moi-même d'une couleur bien gaie pour une femme qui affichait tant d'éloignement pour la coquetterie.

Peu de temps après que je fus dans le cabinet, ma maîtresse entra; elle me regarda avec indifférence, parut contente, mais sans me louer trop, et, d'un air froid et distrait, elle renvoya l'ouvrier. Aussitôt qu'elle se vit seule, cette physionomie sombre et sévère s'ouvrit; je vis un autre maintien et d'autres yeux; elle m'essaya avec un soin qui m'annonçait qu'elle ne comptait pas faire de moi un meuble de simple parade. Cet essai voluptueux, et l'air tendre et gai qu'elle avait pris d'abord, qu'elle s'était vue sans témoins, ne m'ôtaient rien de la haute idée qu'on avait d'elle dans Agra.

« Je savais que ces âmes que l'on croit si parfaites, ont toujours un vice favori, souvent combattu, mais presque toujours triomphant; qu'elles paraissent sacrifier des plaisirs, qu'elles n'en goûtent quelquefois qu'avec plus de sensualité, et qu'enfin elles font souvent consister la vertu moins dans la privation que dans le repentir. Je conclus de cela que Fatmé était paresseuse, et je me serais alors reproché de porter mes idées plus loin...

« Fatmé, en apparence, fuyait les plaisirs, et ce n'était que pour s'y livrer avec plus de sûreté. Dévouée à l'imposture dès sa plus tendre jeunesse, elle avait moins songé à corriger les penchants vicieux de son cœur, qu'à les voiler sous l'apparence de la plus austère vertu. Son âme, naturellement... dirai-je voluptueuse? non : ce n'était pas le caractère de Fatmé; son âme était portée aux plaisirs. Peu délicate,
mais sensuelle, elle se livrait au vice, et ne connaissait point l'amour. Elle n'avait pas encore vingt ans ; il y en avait cinq qu'elle était mariée, et plus de huit qu'elle avait prévenu le mariage. Ce qui séduit ordinairement les femmes ne prenait rien sur elle ; une figure aimable, beaucoup d'esprit, lui inspiraient
peut-être des désirs ; mais elle n'y cédait pas.

Les objets de ses passions étaient choisis parmi des gens non suspects, engagés par leur genre de vie à taire leurs plaisirs, ou entre ceux que la bassesse de leur état dérobe aux soupçons" du public, que la libéralité séduit, que la crainte retient dans le silence, et qui, dévoués en apparence aux plus vils emplois, quelquefois n'en paraissent pas moins propres aux plus doux mystères de l'amour.

(...) « A sa voix, un jeune esclave, d'une figure plus fraîche qu'agréable, se présenta. Fatmé, le fixant avec des yeux où régnait l'amour et le désir, parut cependant irrésolue et craintive.

— « Ferme la porte, Dahis ! lui dit-elle enfin. Viens, nous sommes seuls ; tu peux
sans danger te souvenir que je t'aime, et me prouver ta tendresse ! »

« Dabis, à cet ordre, quittant i'air respectueux d'un esclave, prit celui d'un homme
que l'on rend heureux. 11 me parut peu délicat, peu tendre, mais vif et ardent, dévoré de désirs, ne connaissant point l'art de les satisfaire par degrés, ignorant la galanterie, ne sentant point de certaines choses, ne détaillant rien, mais s'occupant essentiellement de tout. Ce n'était pas un amant, et pour Fatmé
qui ne cherchait pas l'amusement, c'était quelque chose de plus nécessaire. Dahis
louait grossièrement; mais le peu de finesse de ses éloges ne déplaisait pas à Fatmé, qui, pourvu qu'on lui prouvât fortement qu'elle inspirait des désirs, croyait toujours être louée assez bien.

« Fatmé se dédommagea avec Dahis de la réserve avec laquelle elle s'était forcée
avec son mari. Moins fidèle aux sévères lois de la décence, ses yeux brillèrent du feu le plus vif; elle prodigua à Dahis les noms les plus tendres et les plus ardentes caresses; loin de lui rien dérober de tout ce qu'elle sentait, elle se livrait à tout son trouble. Plus tranquille, elle faisait remarquer à Dahis toutes
les beautés qu'elle lui abandonnait, et le forçait môme à lui demander de nouvelles preuves de sa complaisance, et que lui-mcme il n'aurait pas désirées.

« Dahis, cependant, paraissait peu touché. Ses yeux s'arrêtaient stupidement sur les objets que la facile Fatmé leur présentait; c'était machinalement qu'ils faisaient impression sur lui. Son âme grossière ne sentait rien; le plaisir ne pénétrait même pas jusqu'à elle. Pourtant Fatmé était contente. Le silence dé Dahis et sa stupidité ne choquaient point son amour-propre, et elle avait de trop bonnes raisons pour croire qu'il était sensible à ses charmes, pour ne pas préférer son air indifférent aux éloges les plus outrés et aux plus fougueux transports d'un petit-maître.

« Fatmé, en s'abandonnant aux désirs de Dahis, annonçait assez qu'elle avait aussi peu de délicatesse que de vertu, et n'exigeait pas de lui cette vivacité dans les transports, ces tendres riensr que la finesse de l'âme et la politesse des manières rendent supérieurs aux plaisirs, ou qui, pour mieux dire, les font eux- mêmes.

« Dahis sortit enfin, après avoir bâillé plus d'une fois. Il était du nombre de ces personnes malheureuses, qui, ne pensant jamais rien, n'ont jamais aussi rien à dire, et qui sont meilleures à occuper qu'à entendre...


Claude Prosper Jolyot de CRÉBILLON