sábado, 7 de marzo de 2020

La magie féminine de Mme Cagliostro

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"Des femmes de qualité, qui avaient entendu parler de ces scènes mystérieuses et du souper d’outre-tombe de la rue Saint-Claude, se sentirent prises, à leur tour, d’un désir ardent d’être initiées aux mêmes mystères. Elles sollicitèrent, à l’insu de leurs maris, la faveur de participer à ces séances fantastiques. La plus passionnée de toutes, la duchesse de T..., fut choisie pour proposer, en leur nom, à Mme de Cagliostro, d’ouvrir pour elles un cours de magie où nul homme ne serait admis. On lui répondit avec sang-froid, que ce cours commencerait dès que le nombre des aspirantes s’élèverait à trente-six. Dans la même journée, ce nombre fut complété. 
Voilà Lorenza ou Seraphina, devenue Grande maîtresse de la maçonnerie égyptienne au même titre que son mari était Grand cophte. Elle commença par faire connaître les conditions de son cours de magie féminine, qui étaient, pour chaque adepte, de verser cent louis, de s’abstenir de tout commerce humain, à dater du jour de la demande, et de se soumettre à tout ce qui lui serait ordonné. Ces conditions acceptées, on fixa la séance au 7 août.
 La Grande maîtresse avait loué et fait préparer une vaste maison, entourée de jardins et d’arbres magnifiques, dans la rue Verte, au faubourg Saint-Honoré, quartier alors très solitaire. C’était là que la réunion devait avoir lieu. Aucune des trente-six adeptes n’y manqua, et, à onze heures, on était au grand complet.
 En entrant dans la première salle, toutes les dames furent obligées de quitter leurs vêtements, et de prendre une robe blanche, avec une ceinture de cou-leur. On les partagea en six groupes, qui se distinguaient par les nuances de leurs ceintures : six étaient en noir, six en bleu, six en coquelicot, six en violet, six en rose, six en impossible (couleur de fantaisie). On remit à chacune un grand voile, qu’elles placèrent en sautoir. On les fit ensuite entrer dans un temple éclairé par le haut de la voûte, et garni de trente-six fauteuils couverts de satin noir. Lorenza, vêtue de blanc, était assise sur une espèce de trône, assistée de deux grandes figures, habillées de telle manière qu’on ne pouvait savoir si c’étaient des hommes ou des femmes, ou encore des spectres.
 La lumière qui éclairait cette salle s’affaiblit insensiblement, et quand on put à peine distinguer les objets, la Grande maîtresse ordonna aux dames de se découvrir la jambe gauche jusqu’à la naissance de la cuisse. Elle leur commanda ensuite de lever le bras droit et de l’appuyer sur la colonne voisine. Deux jeunes femmes, à qui l’on donnait le nom de Marphise et Clorinde, entrèrent, tenant un glaive à la main, et attachèrent les trente-six dames par les jambes et par les bras au moyen de cordons de soie. Au milieu d’un silence absolu, Lorenza prononça alors un discours qui commençait ainsi : 
« L’état dans lequel vous vous trouvez est le symbole de votre état dans la société. Votre condition de femmes vous place sous la dépendance passive de vos époux. Vous portez des chaînes, si grandes dames que vous soyez. Nous sommes toutes, dès l’enfance, sacrifiées à des dieux cruels. Ah ! si, brisant ce joug honteux, nous savions nous unir et combattre pour nos droits, vous verriez bientôt le sexe orgueilleux qui nous opprime ramper à nos pieds et mendier nos faveurs... » 
Ce discours, qui semble jusque-là commenter le code de la femme libre, finit pourtant par baisser de ton, et aboutit même à des conseils pleins d’un dépit superbe, mais fort rassurants pour le droit des maris :
 « Laissons-les, s’écria la grande prêtresse, faire leurs guerres meurtrières ou débrouiller le chaos de leurs lois ; mais chargeons-nous de gouverner l’opinion, d’épurer les mœurs, de cultiver l’esprit, d’entre-tenir la délicatesse, de diminuer le nombre des infortunes. Ces soins valent bien ceux de prononcer sur de futiles querelles. » 
Après ce discours, qui fut accueilli par des acclamations enthousiastes, Marphise et Clorinde détachèrent les liens de ces dames, pour qui d’autres épreuves allaient commencer. Mais auparavant Lorenza les fortifia par cette autre allocution :
 « Recouvrez votre liberté, et puissiez-vous la recouvrer ainsi dans le monde. Oui, cette liberté, c’est le premier besoin de toute créature : ainsi donc, que vos âmes tendent de toute leur ardeur à la conquérir. Mais pouvez-vous compter sur vous-mêmes ? Êtes-vous sûres de vos forces ? Quelles garanties m’en donnerez-vous ? Adeptes qui m’écoutez, il faut subir d’autres épreuves. Vous allez vous diviser en six groupes. Chaque couleur se rendra à un des six appartements qui correspondent à ce temple ; là, de terribles tentations viendront vous assaillir... Allez, mes sœurs, les portes du jardin sont ouvertes, et la lune douce et discrète, éclaire le monde. » 
Les dames entrèrent dans les appartements qui leur étaient respectivement désignés, et dont chacun ouvrait sur le jardin. Nul ne les y suivit ; elles devaient aborder seules, dans leur force et dans leur liberté, les épreuves qui les attendaient. Elles firent, dit-on, des rencontres inouïes. Ici, des hommes les poursuivaient en les persiflant ; là, des adorateurs soupiraient dans des postures attendrissantes. Plus d’une crut se trou-ver avec son amant, tant le fantôme ou le génie qui lui apparut, avait une ressemblance frappante avec l’objet aimé. Mais le devoir et le serment prononcé com-mandaient une cruauté inflexible ; il fallut repousser, et, au besoin, maltraiter l’ombre charmante, au risque de perdre à jamais une réalité adorée. On cite une de ces dames qui, dans l’exaltation de sa vertu, n’hésita pas à fouler d’un pied ravissant, mais impitoyable, l’image qui lui représentait l’idéal de sa pensée, le rêve de son cœur.Toutes s’acquittèrent strictement de ce qui leur avait été ordonné ; l’esprit nouveau de la femme régénérée venait de triompher sur toute la ligne des trente-six ceintures. Ce fut donc avec ces symboles intacts et immaculés, qu’elles rentrèrent dans la demi-obscurité de la salle voûtée qu’on appelait le temple, pour recevoir les félicitations de la Grande maîtresse. Là, quelques minutes furent accordées au recueillement. Tout à coup, le dôme de la salle s’ouvrit, et l’on vit descendre, sur une grosse boule d’or, un homme, nu comme Adam avant le péché, qui tenait un serpent dans sa main et portait sur sa tête une flamme brillante. 
« C’est du Génie même de la vérité, dit la Grande maîtresse, que je veux que vous appreniez les secrets si longtemps dérobés à votre sexe. Celui que vous allez entendre est le célèbre, l’immortel, le divin Cagliostro, sorti du sein d’Abraham sans avoir été conçu, et dépositaire de tout ce qui a été, de tout ce qui est, et de tout ce qui sera connu sur la terre.— Filles de la terre, dit le grand cophte, dépouillez ces vêtements profanes. Si vous voulez entendre la vérité, montrez-vous comme elle. » 
Aussitôt la grande prêtresse, donnant l’exemple, ôte sa ceinture et laisse tomber ses voiles. Et les adeptes, l’imitant, se montrèrent sinon dans leur innocence, du moins dans toute la nudité de leurs charmes, aux yeux du Génie céleste.Alors ayant promené lentement sur les beautés nues ses magnétiques regards. 
« Mes filles, reprit-il, la magie tant décriée n’est, entre des mains pures, que le secret de faire du bien à l’humanité. La magie, c’est l’initiation aux mystères de la nature et la puissance d’user de cette science occulte. Vous ne doutez plus du pouvoir magique ; il va jusqu’à l’impossible, les apparitions du jardin vous l’ont prouvé ; chacune de vous a vu l’être cher à son cœur, et a conversé avec lui. Ne doutez donc plus de la science hermétique, et venez quelquefois dans ce temple où les plus hautes connaissances vous seront révélées. Cette première initiation est d’un bon augure ; elle prouve que vous êtes dignes de la vérité. Je vous la dirai tout entière, mais par gradations. Aujourd’hui, apprenez seulement de ma bouche que le but sublime de la franc-maçonnerie égyptienne, dont j’apporte les rites du fond de l’Orient, c’est le bonheur de l’humanité. Ce bonheur est illimité ; il comprend les jouissances matérielles, comme la sérénité de l’âme et les plaisirs de l’intelligence. Tel est le but. Pour y parvenir, la science nous offre ses secrets. La science pénétrant la nature, c’est la magie. Ne m’en demandez pas davantage. Vivez heureuses, et, pour cela, aimez la paix et l’harmonie ; retrempez vos âmes par les émotions douces, aimez et pratiquez le bien ; le reste est peu de chose. » 
Abstraction faite de l’appareil fantasmagorique, il n’y a rien dans cette initiation qui contraste trop avec la morale et les idées humanitaires qui avaient déjà cours dans le dix-huitième siècle. Mais l’historien, un peu suspect d’ailleurs, à qui l’on doit le plus de détails sur les actes et les prédications de Cagliostro à Paris, ajoute à ce qui précède quelques lignes d’une morale plus émancipée. Suivant lui, abjurer un sexe trompeur fut le conseil que le prétendu Génie de la vérité donna pour conclusion aux adeptes.
 « Que le baiser de l’amitié, dit-il en terminant, annonce ce qui se passe dans vos cœurs. » Et la Grande maîtresse leur apprit ce que c’était que le baiser de l’amitié.
Cela fait, le Génie de la vérité se replaça sur sa boule d’or, qui, s’élevant comme elle était descendue, l’emporta dans les profondeurs de la voûte. Pendant cette ascension, le parquet s’entr’ouvrit par le milieu, et la lumière revenant à flots dans le temple, on vit sortir de dessous terre une table splendidement ornée et délicatement servie : argenterie éblouissante, qui n’était pas une vaine apparence, belles fleurs, qui exhalaient de vrais parfums, mets et vins choisis, qui, détectant les sens, les forçaient à reconnaître leur plantureuse réalité. Dans ce souper, que les thaumaturges faisaient succéder à l’initiation, il n’y avait rien d’illusoire ou de fantastique, pas même les amants que ces dames y retrouvèrent. On soupa gaiement et de bon appétit. Il y eut des danses et des divertissements, où brillèrent les talents de Clorinde et de Marphise, naguère farouches guerrières, maintenant ravissantes almées, peut-être empruntées à l’Opéra, mais qu’on croyait importées d’Égypte en même temps que les mystères d’Anubis. 
Quand on se retira, il était trois heures du matin, preuve irrécusable que l’émancipation de la femme dans la société française avait déjà fait quelque progrès avant l’arrivée du grand cophte et de sa compagne

L. Figuier, Cagliostro. Prodiges et sortilèges

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