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lunes, 19 de septiembre de 2011

De la dromomanie



En 1838, Esquirol avait abordé la folie dans une perspective comparative, historique, géographique et culturelle. Il parlait de « dromomanie », ou volonté impulsive au voyage, qui appartenait aux monomanies (psychoses délirantes chroniques). Il lui arrivait de prescrire le voyage sur ordonnance.

A l'avènement d'une nosographie psychiatrique au XIXe siècle, la valeur séméiologique de rupture, d'effraction dans le vécu, de passage à l'acte des voyages a été reconnue, tout en soulignant la signification multiple de ces conduites. Le voyage pathologique, replacé dans l'histoire du sujet, permettait de lui donner un sens. En 1875, les travaux de Foville concernaient « les aliénés voyageurs ou migrateurs ». Le patient partait pour fuir ses persécuteurs, ce qui pouvait le conduire à faire des milliers de kilomètres. Il avait décrit une dizaine de cas, mettant en évidence celui des fugueurs, capables de relations sociales, pouvant demander des indications, trouvant une solution raisonnable et réfléchie à des problèmes fous, s'expatriant pour échapper à l'ennemi imaginaire. L'acte était réfléchi et conscient, le voyage linéaire et polarisé, même si la finalité était délirante. A noter que les foyers géographiques étaient le plus souvent les grands ports comme Le Havre ou Bordeaux.

En 1880, Charcot avait tenté d'unifier l'ensemble des voyages pathologiques sur un modèle théorique, à savoir l'automatisme ambulatoire dont est rattachée la fugue épileptique. Les manifestations motrices de l'épilepsie entraînaient des comportements de fugue plus ou moins prolongés. La durée importait peu, qu'elle soit de quelques jours ou de plusieurs mois, il s'agissait du même modèle. Grâce à l'automatisme ambulatoire, Charcot unifie quatre modèles cliniques différents :

l'amnésie traumatique, provoquée par un traumatisme physique ou crânien pouvant être suivi d'une période où le sujet poursuit son activité motrice sans qu'il n'en garde le souvenir;

les épilepsies non convulsives dont le vertige épileptique, très controversé, où surviennent des actes soudains et irrationnels sans aucune conscience des choses;

le somnambulisme (4, 26), bien décrit par Pinel, Janet et Mesnet, qui parlait des "automates somnambuliques », «instruments aveugles obéissant aux impulsions d'une volonté inconsciente », avec l'idée que les somnambules « souffrent de réminiscences» où, au cours des accès, les souvenirs anciens refont surface et éclairent l'étrangeté de leur comportement. Trois types de somnambulisme seront distingués : le somnambulisme naturel (controversé), le somnambulisme provoqué (par hypnose), le somnambulisme spontané pathologique (celui de l'hystérie). Ce que l'on appelait au XIXe siècle "dédoublements », et pas encore dissociation, fut illustré par le somnambulisme avec oubli de l'épisode au réveil ;

les voyages d'aliénés, négligés un peu par Charcot. C'est le fils de Foville, en
se situant près du port du Havre, qui observera plusieurs cas, comme les
persécutés fuyant leurs persécuteurs, ou les hallucinés accomplissant les actes
dictés par leurs voix ...

Charcot avait également décrit la fugue comme équivalent hystérique lors de grandes crises démesurément prolongées, se référant à « l'automatisme ambulatoire hystérique. » Mais il existait des fugueurs, ni épileptiques, ni hystériques, dont le déplacement était conscient et mnésique mais tout de même pathologique (26). Il s'agira d'un troisième type de fugue, la fugue « névropathique. » Concernant initialement l'épilepsie et l'hystérie, la notion de fugue va être par la suite appliquée à la neurasthénie et la psychasthénie, puis étendue à de multiples
maladies mentales, perdant toute signification.

Le modèle de la fugue, élaboré par la neurologie et la psychiatrie, sera ensuite utilisé pour rendre compte du phénomène social du vagabondage au XIXe siècle (4). Charcot va le ranger dans l 'hystéro-neurasthénie. Il sera démontré que la majorité des vagabonds arrêtés sont des malades mentaux. Par la suite, on émettra même l'hypothèse d'un « vagabondage de race », en référence aux peuples nomades. Pour le même comportement, le vagabondage concernerait les pauvres tandis que les riches ne seraient perçus que comme des explorateurs satisfaisant leur curiosité intellectuelle. Cette théorie du vagabondage comme entité pathologique est critiquable. On ne peut méconnaître le contexte socio-économique et de lieu conduisant à la fugue comme les casernes ou les asiles. Mais le choix de considérer l'automatisme ambulatoire comme une forme d'épilepsie amènera à considérer le principe d'irresponsabilité pénale des crimes et délits commis lors d'accès épileptiques.

Régis, en 1893, va s'intéresser aux impulsions conscientes et reprendra le terme de
« dromomanie. » Elève de Pitres, ils rendront compte de la tendance impulsive à voyager, de statut comparable aux autres comportements impulsifs connus comme la dipsomanie, la kleptomanie ou la pyromanie. C'est ainsi qu'on décrira la fugue du neurasthénique, consciente et mnésique, survenant après une longue et douloureuse lutte intérieure. Il attribuera l'automatisme mental de la neurasthénie à une forme de dégénérescence.

A la fin du XIXe siècle, on retrouve trois étiologies, à savoir l'épilepsie, l 'hystérie et la psychasthénie. Puis on repère des entités cliniques très différentes comme la fugue alcoolique, décrite antérieurement par Lasègue, la fugue du dipsomane, celle relative à la maladie de Basedow, la fugue du paranoïaque, du mélancolique, du dément, du psychotique, la fugue confusionnelle, etc. On parlera de «psychose migratrice », de « paranoïa ambulatoire, de « manie ambulatoire» chez le sujet atteint de maniaco-dépression ou folie circulaire, d'« automatisme confusionnel », et par la suite de «fugue hébéphrénique" décrite par
Kraepelin au sujet des démences précoces, que nous appelons aujourd'hui schizophrénies.

(...) Parallèlement aux Etats-Unis, en 1850, La Société médicale de l'Etat de Louisiane nomme une commission pour étudier les caractéristiques de la race noire. Les esclaves qui tentent d'échapper à leurs maîtres sont déclarés par les médecins blancs comme fous et atteints de« drapetomanie », mot tiré d'une racine grecque signifiant s'enfuir. Entre 1890 et 1905 sont décrits sur le continent américain des hommes jugés mentalement dérangés, qui voyagent, parfois sur de très longues distances. Une fois en fugue, ils perdent tout sens de leur ancienne identité et ne gardent aucun souvenir des lieux traversés. Dans certains cas, ces souvenirs peuvent être rappelés sous hypnose. Mais ces sujets ne sont pas considérés comme des fugueurs et l'automatisme mental ne figure pas dans les interprétations. Certains iront même jusqu'à parler d'une tendance innée dans la race humaine au nomadisme, inhibé par la civilisation et la culture. La colonisation et la conquête de l'Ouest
illustrent ce besoin qu'a l'homme de se déplacer pour acquérir des territoires et donc de la puissance..."

A. Ronchi L´adolescent "voyageur"

miércoles, 25 de mayo de 2011

Ratopolis




La ville des Rats


Un grand péril nous menace; notre existence pend à un cheveu. D'un moment à l'autre, nous pouvons être mangés tout vifs, et nous réveiller le matin parfaitement débarrassés d'yeux, de peau, de graisse, de chair, avec des os nettoyés, blanchis, brossés, prêts à recevoir des chevilles et des charnières de cuivre poûr aller figurer dans l'armoire vitrée d'un cabinet anatomique.

Voilà notre position....

Et pourtant l'on continue à se promener sur le boulevard de Gand , à boire du porter, à prendre des glaces chez Tortoni, à ne pas aller au Gymnase, à lire les feuilletons de Karr et les histoires de Méry. Les journaux quotidiens paraissent tous les jours, et les journaux hebdomadaires ne paraissent jamais. Les tigresses et les lions se pavanent aux avant-scènes, comme de coutume ; rien n'est changé dans la vie parisienne; personne ne semble avoir la conscience de sa mort future.

Plus insouciants que les Napolitains, qui dansent sur te bord du volcan, nous nous abandonnons au flot des voluptés mondaines, sans penser un instant que nous sommes exposés au sort de Ladistas, roi de Pologne, qui fut dévoré par les rais, ainsi qu'on le peut voir au livre des histoires prodigieuses.

La cinquième plaie d'Egypte va tomber un de ces jours sur nous.

Le Vésuve est près de Naples, mais Montfaucon est près de Paris. La Babylone moderne ne sera pas foudroyée comme la tour de Lylacq , submergée comme la Pentapole par un lac de bitume (Dez-Maurel et Cie), ni ensablée comme Thèbes; elle sera tout simplement dépeuplée et détruite de fond en combje par les rats de Montfaucon.

Des légions innombrables de rats vont descendre en noires colonnes sur Paris, miner les fondations des bâtiments, et les faire écrouler sur les rares habitants qu'ils n'auront pas encore dévorés.

Cette terrible invasion arrivera le jour où l'on transportera la voirie dans son palais de la plaine des Vertus; alors auront lieu dans Paris des anthropomyomacthies dignes d'un nouvel Homère. Tous ces rats, plus sensuels que le rat d'Horace, qui font à Montfaucon des déjeuners de Balthazar, comme dil Bilboquet, manquant soudain de pâture, viendront à Paris manger de l'homme à défaut de cheval.

Les rats de Montfaucon ne sont point des rats ordinaires; l'abondance et la qualité de la nourriture les a développés prodigieusement; ce sont dis rats herculéens, énormes, gros comme des éléphants, féroces comme des tigres, avec des dents d'acier et des griffes de fer; des rats qui ne font qu'une bouchée d'un chat, ou tout au plus deux; les champs qu'ils traversent sont ternissés et battus comme s'il y avait passé une armée avec artillerie, bagages, caissons et forges de campagne; la glaise qu'ils emportent avec leurs pattes donne à ces sentiers une couleur verdâtre qui les fait distinguer des autres chemins : ces routes, aussi unies que si elles étaient macadamisées, aboutissent à des ratopolis souterraines, à d'immenses terriers où fourmillent d'innombrables populations rongeantes et dévorantes.

Si, par malheur, un ivrogne attardé s'endormait près d'une de ces villes de rats, le lendemain, il ne resterait de lui que ses dents et les clous de ses souliers : aussi les habitants de l'endroit se veillentils les uns les autres, et ne dorment-ils que chacun leur tour : sans cela les rats viendraient leur grignoter les pieds pendant la nuit et leur ronger les tendons. Aucune bâtisse un peu solide n'est possible sur ce terrain fouillé, bouleversé, miné, contreminé par ces formidables animaux; en moins de rien, les fondations d'une maison sont criblées de trous, comme des planches à bouteilles ou des truelles à poisson: on se couche avec quatre murs, et le malin, il y en a trois de fondus; la fenêtre du premier étage se trouve au niveau du rez-dechaussée , et vous peut servir de porte; pour obvier à ce désagrément, on ne bâtit que sur un lit do tessons de bouteilles, où messieurs les rats se coupent les babines et se déchirent les pattes.

De temps à autre, vingt ou trente pieds de colline s'écroulent et font ce que les habitants appetlent un coup de cloche : tant pis pour ceux qui sont dessous; ceux qui sont dessus n'ont pas une position beaucoup plus agréable. C'est encore l'ouvrage de ces messieurs.

La croûte extérieure ne tient que par les racines des plantes. La couche intérieure est déchiquetée et vermiculée comme un polypier marin. Quand la voirie sera déplacée, ce joli travail s'exéculeni sous Paris, qui a déjà bien assez de catacombes.

On a essayé tous les moyens pour détruire celle vermine, mais inutilement. Les rats ont la vie dure; l'arsenic, la mort aux rats, ne fait que leur tenir le ventre libre et leur exciter l'appétit. Ainsi purgés, ils mangent davantage et vivent plus longtemps . Les souricières sont un artifice mesquin, bon pour les rats isolés qui se laissent prendre au maigre appât d'un morceau de lard rance : il faudrait faire une levée de cinquante à soixante mille chais bien vigoureux et bien disciplinés, pour pouvoir lutter avec eux sans trop de désavantage; mais les rais détruits ou diminués, comment sr débarrasser des chats? That is the question.

En attendant qu'ils nous dévorent, décrivons leurs mœurs et leurs goûts; bientôt il ne sera plus temps. L'endroit recherché et délicat, le fin morceau , le sot-l'y-laisse de ces gastronomes trottemenu , c'est l'œil du cheval. Aussitôt qu'un cheval est abattu, les rats accourent en faisant remuer leur groin vergeté de longues moustaches, en frétillant de la queue, en frottant leurs pattes contre leur nez avec tous les signes d'une profonde jubilation. Les chefs de la troupe, les plus considérables de la société, attaquent les yeux, les trouent, fendent la cornée et vident l'orbite , jusqu'à ce qu'ils aient atteint à une petite pelote de graisse qui tapisse le fond de la cavité. Cette friandise équivaut, pour un rat gourmand, à ce que serait pour nous une perdrix truffée ou une terrine de Nérac. Il est sans exemple, tant ce mets est recherché, qu'un cheval ait conservé les yeux après avoir passé une nuit dans un des clos.

S'il ne se trouve pas de graisse à cet endroit, vous en chercheriez en vain une demi-once sur tout le corps de l'animal : les rats le savent parfaitement bien, et, quand ils ne rencontrent pas la pelote cherchée dans le creux de l'orbite, ils abandonnent la carcasse et vont en essayer une autre.

Ce goût des rats pour les yeux est partagé par les corbeaux et les autres oiseaux de proie. C'est toujours par là qu'ils entament les charognes et les corps morts.

Dans les hivers rigoureux, les cadavres des clie» vaux surpris par la gelée prennent la rigidité et la consistance du bois, de sorte qu'il est impossible d'en détacher la peau. 11 faut donc les laisser sur place, avec leurs quatre pieds tendus en piquets . leur ventre gonflé et leur roideur de chevaux de carton, jusqu'à ce que l'adoucissement de la température permette de les travailler et de les équarrir. Les rats, animaux frileux de leur nature, rie pouvant plus d'ailleurs se nourrir avec les ri M. durcies par la gelée, choisissent un cheval de belle apparence pour en faire leur logis. Si l'animal a été saigné au col, ils entrent par la blessure; sinon, ils pénètrent par l'orifice opposé. Une fois entrés, ils nettoient leur demeure du mieux qu'ils peuvent, et la rendent tout à fait confortable; les boyaux leur servent de corridors et de couloirs de communication; le salon est établi dans les grandes cavités abdominales; les chambres à coucher et les cabinets de toilette dans les interstices des côtes et lieux circonvoisins. Ils sont d'abord fort à l'étroit, mais leur logis s'agrandit tous les jours; le cœur, le foie et les poumons dévorés leur font deux ou trois pièces de plus. Ils vivent là plus à l'aise que le rat de La Fontaine dans son fromage de Hollande; ils mangent, ils évident, ils creusent en prenant le plus grand soin de ne pas entamer ni piquer la peau, de peur de donner passage à l'air

Prieur, car les rats craignent beaucoup les vents coulis, et redoutent par-dessus toutes choses d'atîraper des fluxions ou des rhumes de cerveau. Quand vient le dégel, il ne reste du cheval qu'un squelette enveloppé d'une peau; cette peau sonne comme un tambour , et le squelette est aussi bien préparé qu'il pourrait l'être par l'anatomiste le plus habile du Jardin des Plantes et de l'école d'Alfort.

Cette sensuelle précaution est d'autant plus remarquable, qu'en été ils ne se font aucun scrupule de percer et de ronger le cuir. Leur férocité est tellement grande, qu'ils se battent et se dévorent entre eux comme des hommes. Dès qu'un rat blessé exprime la douleur par des glapissements, ses parents et ses amis accourent aussitôt, se jettent sur lui et l'achèvent. Rien ne paraît les contrarier comme les cris et les plaintes. Tout rat qui piaille hors de propos est mis à mort sur-le-champ.

Les amateurs du Sport envoient souvent chercher des rats à Montfaucon , pour les faire servir au divertissement tout à fait britannique que nous allons raconter:

On enferme dans des cages de bois, entourées de treillis à mailles fines, deux épagneuls ou deux pointers avec six ou huit douzaines de rats. Les chiens doivent étrangler tous les rats dans un temps marqué, sans se reprendre, c'est-à-dire en ne donnant qu'un coup de croc à chacun. Celui qui a fini le premier est proclamé vainqueur, et les gens qui ont parié pour lui empochent les enjeux, qui sont souvent très-considérables.

C'est un spectacle fort bouffon que celui de c: chien impassible au milieu de cette fourmilière t' rats éperdus, qui se démènent et poussent des m affreux ; ils vont, ils viennent, ils grimpent les treillages, ils se pendent aux babines de leur ennemi, qui balance la tête, et cogne leurs grappes noires contre les barreaux de la cage pour se débarrasser et leur faire lâcher prise; en quelques minutes tout est exterminé, tant est grande l'adr des chiens élevés à cet exercice. Mais ce qu'il y i de plus extraordinaire dans tout ceci, c'est que te domestiques chargés d'apporter les rats de Montfaucon à Paris sont obligés de mettre dans leim caisses deux ou trois douzaines supplémentaires pour avoir le compte en arrivant chez leurs maître car ils se mangent en roule, et l'on ne trouverait plus que les queues à l'ouverture de la boîte : ceci paraît peu croyable, rien n'est pourtant plus vrai. M. Magendie, ayant élé prendre lui-même doua rats à la voirie pour faire quelques expériences, n'en rapporta chez lui que trois vivants, prodigieusement gonflés et distendus. Il ne restait des autres que les griffes, les dents, et quelques débris.

O rats myophages! n'avez-vous donc pas honte de faire mentir les vers de Roileau, où il est dil que l'on ne voit point les animaux se déchirer entre eux?

A combien évaluer le nombre de ces formidables rongeurs! Les uns disent cent mille, les autres deux cents, ceux-là vingt mille seulement, ce qui est peu probable : il est fort difficile d'avoir un chiffre juste. Mais, d'après la quantité de chair dévorée , l'état du terrain entièrement bouleversé , les chasses générales et particulières , qui n'ont jamais eu d'effet sensible, l'extrême fécondité des mères rates, qui ne font pas moins de quinze à dix-huit petits, on doit supposer un nombre exorbitant.

Voici comme se pratiquent les grandes chasses:

II y a dans Montfaucon un clos exactement entouré de murailles; dans ces murailles sont pratiquées des espèces de chatières, des barbacanes espacées régulièrement : on fait abattre dans l'enceinte trois ou quatre chevaux bien gras; la nuit tombée, les rats entrent par les chatières et commencent leur festin. Quand on pense que la frairie est en bon train, que l'orgie est au plus haut degré d'effervescence, on arrive à pas de loup, on bouche les trous avec des tampons; puis on pénètre dans le clos par-dessus les murailles avec des échelles, des torches, des bâtons , des bottes fortes et une vingtaine de chiens.

Alors le carnage commence : à coups de pieds, à coups de bâton, à coups de dents. Les chiens aboient, les rais poussent leur glapissement à la fois lâche et féroce; les plus déterminés tâchent de gravir au long des murs, et de se sauver ainsi, mais on les poursuit avec la flamme des torches; à moitié grillés, ils sont bien forces de quitter te aspérités auxquelles ils se cramponnent, et de tomber, tout roussis et tout flambés, dans les gueules béantes qui les attendent en bas.

Dans l'espace d'un mois, l'on en a tué seize mille cinquante; neuf mille cent un en quatre chasses deux mille six cent cinquante en une seule fois. Un équarrisseur nous a dit en avoir pris cinq nidli cet hiver dans un trou qui se trouve à l'angle de l'écurie et qu'il avait garni d'une espèce de nasse ces grands massacres ne font pas le moindre effet. Les amateurs en tuent aussi beaucoup avec des sarbacanes dans lesquelles ils soufflent fortement un petit dard empenné d'un flocon de laine rouge; les rats blessés, se sauvant avec leur banderille plantée dans le dos en manière d'oriflamme, ont une mine fort héroïque. On les asphyxie encore dans leurs terriers en y poussant, au moyen d'un fourneau et d'un soufflet, de la vapeur de soufre. Mais ils n'en pullulent pas moins, et deviennent tous les jours de plus en plus nombreux; ainsi, il faut nous résigner à notre sort et nous accoutumer à l'idée d'être dévorés prochainement: Lo que ha de ser, non puedo faltar.


Théophile Gautier,
Caprices et zigzags