sábado, 25 de octubre de 2014

Les suicidés érotomanes



"Tant que l’érotomanie n’entraîne que des larmes, de l’attendrissement, des extravagances ou du désespoir, la maladie reste silencieusement enfouie dans l’intérieur des familles ; mais lorsque des actes graves sont commis, ils viennent nécessairement retentir devant les tribunaux. Il n’est pas très-rare, par exemple, lorsque l’amour est mutuel et qu’il est menacé d’être invinciblement entravé, que l’un des amants tue l’autre et se suicide immédiatement après. Les catastrophes de cette nature sont considérées le plus souvent comme entachées d’égarement, comme involontaires, et celui qui, par hasards vient à survivre et passe en justice voit diminuer d’ordinaire de plusieurs degré l’échelle de la pénalité.
L’exemple suivant est certainement l’un des plus curieux qui aient été consignés dans les annales judiciaires :
François-Antoine Ferrand, commis drapier, âgé de dix-huit ans, tomba éperdument amoureux d’une jeune ouvrière connue sous le nom de Mariette. L’affection fut mutuelle, les intentions restèrent pures. Les familles s’opposèrent au mariage des jeunes gens et Mariette, menacée d’être conduite au couvent des dames Saint-Michel si elle ne rompait avec Ferrand et n’épousait un sieur Roux, déclara qu’elle ne consentirait pas à se séparer de l’homme qu’elle aimait et qu’elle préférait plutôt mourir.
Ferrand et Mariette, bien convaincus de l’opposition formelle de leurs parents, se donnèrent un dernier rendez-vous pour en finir. Après avoir froidement arrêté toutes les dispositions de leur fin tragique, ils se rendirent ensemble, à onze heures du soir, dans le bois de la Groue, prés Chars, et après des adieux touchants et des scènes émouvantes d’attendrissement, « Mariette me rappela, dit Ferrand, la promesse que je lui avais faite de ne rien lui refuser. Mariette voulait être frappée en dormant, mais elle ne put s’endormir. Elle m’a dit de lui tirer un coup de pistolet ; j’ai balancé longtemps. Mes deux pistolets étaient chargés : il y en avait un pour elle et l’autre pour moi. Je lui ai tiré un coup de pistolet dans la tête, qui n’a fait que l’étourdir ; elle m’a engagé à lui en tirer un second. Je ne voulais plus la frapper ; alors je lui dis : “Demain matin, à huit heures, je te remettrai dans la voiture.” Je voulais mourir seul… Mais elle a persisté, et je lui ai tiré un second coup de pistolet dans la tète ; je l’ai crue morte. Je l’ai prise sur mon épaule pour la descendre dans le bas du bois. Je me suis arrêté une fois, et je l’ai déposée à terre où elle est restée cinq minutes ; je l’ai chargée de nouveau sur mes épaules, et je l’ai portée à l’endroit où elle a été trouvée. C’est vers quatre heures du matin que cela est arrivé ; lorsqu’elle a été déposée à terre pour la seconde fois, je me suis aperçu qu’elle n’était pas morte. Elle paraissait beaucoup souffrir ; elle me disait : “Achève-moi, achève-moi !” »
Ferrand plongea alors un couteau-poignard dans le sein de Mariette, puis il se trouva mal, ne reprit connaissance qu’au grand jour et voulut se tuer. « Je suis remonté en haut du bois pour reprendre mes pistolets, qui y étaient restés. Je suis redescendu, j’ai accroché ma chemise â une branche du pommier, je m’y suis pendu par le cou et je me suis tiré un coup de pistolet dans la bouche. La détonation m’a fait tomber sur le bord du fossé sans connaissance. J’étais, lorsque je repris connaissance, à quarante pas de Mariette. Je voulus lui arracher le poignard pour m’en frapper, mais elle le serrait si fortement que je ne pus l’arracher de sa main. J’ai voulu faire usage des pistolets, mais le froid, la souffrance m’avaient saisi et il m’a été impossible de charger mes armes. Je connaissais dans le ruisseau qui était prés de la un endroit très-profond ; j’y allais, lorsque j’aperçus deux hommes ; je me détournai alors, et, après avoir ôté ma redingote, je mis mes deux mains dans les goussets de mon pantalon, je me précipitai dans le ruisseau, à l’endroit même où je me trouvais. »
Ferrand fut trouvé là sans connaissance et mis en état d’arrestation.
Devant la cour d’assises de Seine-et-Oise (mars 1858), le docteur Peyrou fut interroge sur l’état où se trouvait l’accusé, peu de temps après l’événement : « Ferrand, dit-il, semblait avoir perdu toute conscience de sa situation ; il écoutait sans entendre, il regardait sans voir ; ce ne fut qu’au moment où M. le juge de paix me demanda si la jeune fille n’était pais enceinte, qu’un indicible mouvement d’indignation illumina son regard. Puis il retomba dans l’abattement. Plus tard, il demanda par signe de l’eau pour laver ses plaies, puis quelques aliments qu’il ne put prendre. »
Les docteurs Peyron, Bastide, David et Deslions affirmèrent devant la cour que l’infortunée Mariette était morte avec tous les caractères révélateurs de la virginité.
Ferrand fut acquitté [4].
Les doubles suicides par asphyxie, dans la même chambre, sur le même lit, s’observent volontiers. Quelques lignes à l’adresse d’un ami ou de l’autorité tentent la justification de cette mort volontaire et en assignent l’unique cause au mauvais vouloir des deux familles ou seulement de l’une d’elles. Dans deux cas parfaitement authentiques, les deux jeunes gens étaient tout habillés, la main dans la main, et les investigations médico-légales ont démontré que la jeune fille avait été chastement respectés..."


Henri Legrand du Saulle,
L’Érotomanie
La folie devant les tribunaux (Chapitre XIII - § I)

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