sábado, 20 de octubre de 2018

Astérix, le flamenco et la mort





Dans Astérix en Hispanie, quelques Gitans proposent à Astérix et Obélix de se joindre à leur danse nocturne : « Salut, amis ! Installez-vous autour du feu, on va faire la fête ! On va rire ! » Et le cantaor d’entonner un refrain aussi peu gai que peu amusant : « Ayayayayayyyyy quel malheur d’être nééééééé ! Ayyyyyy, ma mère, pourquoi m’as-tu fait çaaaaaa ? Ayayayayayayyyyyyyyy ! » L’affirmation de la vie passe sans transition à une revendication de la mort ; la même chose, mais en sens inverse, que ce « Allons travailler » avec lequel Sandoz, dans la dernière ligne de L’Œuvre de Zola, répond à la constatation tragique de Claude Lantier, quelques pages plus haut : « […] il n’y a rien… […] Quand la terre claquera dans l’espace comme une noix sèche, nos œuvres n’ajouteront pas un atome à sa poussière. »

Ainsi les auteurs d’Astérix en Hispanie – Goscinny et Uderzo – ont-ils saisi instinctivement ce lien profond qui, dans le folklore espagnol, c’est-à-dire dans les racines profondes de l’Espagne, relie la joie de vivre au sentiment tragique de la vie. Ils pensent ici en particulier au folklore andalou, au flamenco et à son cante jondo. Mais ils auraient bien pu penser à l’ensemble du folklore espagnol, surtout à celui qui tourne autour de la jota aragonaise – jota qui, à mes yeux, exprime avec autant de force, sinon davantage, ce lien mystérieux et essentiel qui relie la véritable joie de vivre à une connaissance intime et constante de la mort. Que l’intensité de la joie soit directement proportionnelle à la cruauté du savoir est, sans doute, une vérité à caractère général. Cependant, j’aime à souligner ici que cette vérité trouve en Espagne un champ d’expression privilégié, et aussi à avouer que ce fut justement en Espagne que j’ai eu l’occasion, il y a plus de quarante ans, d’éprouver pour la première fois sa profondeur et sa portée. Si la joie n’est jamais vulgaire en Espagne, comme l’écrit Roland-Manuel dans l’opuscule qu’il a consacré à Manuel de Falla, c’est précisément parce qu’elle s’accompagne toujours de l’éclat qu’elle reçoit a contrario du sentiment cruel du dérisoire propre à toute existence, ce qui la met à l’abri de toute illusion, ainsi que de toute complaisance ou compromis. En exaltant la joie de vivre, elle n’oublie pas que la vie, comme le suggérait Bichat, ne sera jamais qu’une résistance miraculeuse à la mort. Là réside le secret de sa force et de son élégance.

Clément Rosset, Faits Divers

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