sábado, 19 de febrero de 2011

Hiérarchie des cocus




LES COCUS D’ORDRE SIMPLE

1. – LE COCU EN HERBE 1
Cocu en herbe est celui dont la femme a eu des intrigues amoureuses avant le sacrement et n'apporte pas à l'époux sa virginité.
Nota. Ne sont pas réputés cocus en herbe ceux qui ont connaissance des amours antérieurs et trouvent malgré cela leur convenance à épouser ; ainsi ce-lui qui s'allie à une veuve n'est pas cocu en herbe 2, non plus que celui qui connaît les galanteries antérieures de sa femme et s'en accommode.

2. – LE COCU PRÉSOMPTIF
Cocu présomptif est celui qui longtemps avant le mariage redoute le sort commun, se met, l'esprit à la torture pour y échapper et souffre le mal avant de l'éprouver 3 réellement. Chacun entrevoit que ses défiances ne serviront qu'à l'égarer dans le choix d'une épouse et accélérer par excès de précautions l'évé-nement qu'il redoute. Scarron a peint ce cocu dans une de ses nouvelles.

3. – LE COCU IMAGINAIRE
Cocu imaginaire est celui qui n'est pas encore cocu et se désole en croyant l'être. Celui-là, comme le présomptif, souffre du mal imaginaire avant le mal réel. Molière l'a peint dans une de ses pièces.

4. – LE COCU MARTIAL OU FANFARON
Cocu martial ou fanfaron est celui qui par d'effrayantes menaces contre les galants croit s'être mis à l'abri de leurs entreprises et porte néanmoins la coëf-fure, tout en se flattant d'y échapper par la terreur qu'il répand ostensiblement 1. Il est pour l'ordinaire cocufié par un de ceux qui applaudissent à ses rodomon-tades et lui assurent qu'il est le seul qui sache veiller sur son ménage.

5. – LE COCU ARGUS OU CAUTELEUX
Cocu argus ou cauteleux est un fin matois qui, connaissant toutes les ruses d'amour et flairant de loin les galants, fait de savantes dispositions pour les mettre en défaut 2. Il remporte sur eux des avantages signalés, mais, comme le plus habile général éprouve à la fin 3 des revers, celui-ci est à la fin soumis à la commune destinée. Au moins, s’il est cocu, il ne l'est guère.

6. – LE COCU GOGUENARD
Cocu goguenard est celui qui plaisante sur les confrères et les donne pour des imbéciles qui méritent bien ce qui leur arrive 4. Ceux qui l'entendent se regar-dent en souriant et lui appliquent tacitement le verset 5 de l'Évangile : tu vois une paille dans l'oeil du voisin, tu ne vois pas une poutre dans le tien.

7. – LE COCU PUR ET SIMPLE
Cocu pur et simple est un jaloux honorable qui ignore sa disgrâce et ne prête point à la plaisanterie par des jactances ni par des mesures maladroites contre l'épouse et les poursuivants 6. C'est de toutes les espèces de cocus la plus loua-ble.


8. – LE COCU FATALISTE OU RÉSIGNÉ
Cocu fataliste ou résigné est celui qui, dépourvu de moyens personnels pour fixer son épouse, se résigne à ce qu'il plaira à Dieu d'ordonner et 1 se retranche sur la Justice et le devoir, en observant que sa femme serait bien coupable si elle le trompait ; c'est à quoi elle ne manque pas.

9. – LE COCU CONDAMNÉ OU DÉSIGNÉ
Cocu condamné ou désigné est celui qui, affligé de difformités ou infirmités, se hasarde à prendre une belle femme. Le public, choqué d'un tel contraste, le condamne d'une voix unanime à porter la coëffure 2, et l'arrêt du public n'est que trop bien exécuté.

10. – LE COCU IRRÉPROCHABLE OU VICTIMÉ
Cocu irréprochable ou victimé est celui qui, joignant les prévenances aux avantages physiques et moraux 3, et méritant sous tous les rapports une épouse honnête, est pourtant trompé par une coquette et emporte les suffrages du pu-blic qui le déclare digne d'un meilleur sort.

11. – LE COCU DE PRESCRIPTION
Cocu de prescription est celui qui fait des absences, de longs voyages pendant lesquels la nature parle aux sens d'une épouse qui, après une défense suffisante, est enfin forcée, par la longue durée des privations, à accepter les secours d'un charitable voisin.

12. – LE COCU ABSORBÉ
Cocu absorbé est celui que le torrent des affaires éloigne sans cesse de l'épouse à qui il ne peut donner aucun soin : il est forcé de fermer les yeux sur ceux que rend un discret ami de la maison.


13. – LE COCU DE SANTÉ
Cocu de santé est celui qui, par ordonnance de la faculté, s'abstient de l'oeuvre de chair. Sa femme ne peut moins faire que de recourir à des suppléants, sans que l'époux ait le droit de s'en offenser.

14. – LE COCU RÉGÉNÉRATEUR
OU CONSERVATEUR
Cocu régénérateur 1 ou conservateur est celui qui prend en mains les intérêts de la communauté, surveille 2 les ménages des confrères et les avertit des dan-gers que leur honneur peut courir. Entre-temps, il ne voit pas ce qui se passe dans son ménage et ferait mieux de faire sentinelle pour son propre compte et prendre garde à ce qui pousse sur son front.

15. – LE COCU PROPAGANDISTE
Cocu propagandiste est celui qui va chantant les douceurs du ménage, ex-citant chacun à prendre femme et gémissant sur le malheur de ceux qui diffè-rent à jouir comme lui... et de quoi ? Du cocuage 3. À qui conte-t-il ses apolo-gies du mariage ? C'est le plus souvent à celui qui lui en fait porter.

16. – LE COCU SYMPATHIQUE
Cocu sympathique est celui qui s'attache aux amants de sa femme, en fait ses amis intimes. On en voit qui, lorsque la dame est de mauvaise humeur et brouillée 4 avec son amant, vont le trouver et lui dire : « On ne vous voit plus, nous sommes tout tristes. Je ne sais ce qu'a notre femme. Venez donc un peu nous voir, cela la dissipera ».

17. – LE COCU TOLÉRANT OU DÉBONNAIRE
Cocu tolérant ou débonnaire est celui 1 qui, voyant un amant installé chez lui, se comporte en galant homme qui veut 2 faire les honneurs de sa maison 3, se borne avec la dame à des remontrances secrètes et traite l'amant comme les autres 4, avec cette parfaite égalité que recommande la philosophie 5.

18. – LE COCU RÉCIPROQUE
Cocu réciproque est celui qui rend la pareille et qui ferme les yeux, parce qu'il se dédommage sur la femme ou parente de celui qui lui en fait porter. C'est un prêté rendu : on se tait en pareil cas.

19. – LE COCU AUXILIAIRE OU COADJUTEUR
Cocu auxiliaire ou coadjuteur est celui qui paraît peu dans le ménage et ne s'y montre que pour 6 répandre la joie, reprocher aux amoureux transis de sa femme qu'ils ne rient pas, qu'ils ne boivent pas 7, les excite sans s'en douter à oublier leurs disputes et vivre en bons républicains entre qui tout est commun. Celui-là aide le commerce ; les cornes sont des 8 roses pour lui 9.

20. – LE COCU ACCÉLÉRANT OU PRÉCIPITANT
Cocu accélérant ou précipitant est celui qui travaille à devancer l'époque, s'empresse de produire sa jeune femme, l'abonner au spectacle et l'encourager à choyer les amis et vivre avec les vivants. Celui-là est comparable aux balles qu'on remet au roulage accéléré et qui arrivent plus tôt au but 10.

21 1 - LE COCU TRAITABLE OU BÉNIN
Cocu traitable ou bénin 2 est celui qui entend raison et à qui les poursuivants font comprendre qu'un mari doit faire quelques sacrifices pour avoir la paix du ménage et permettre à madame des délassements sans conséquence pour une femme qui a des principes 3. On lui persuade que les principes doivent garantir de toute séduction et il se laisse [convaincre 4].

22. – LE COCU OPTIMISTE OU BON VIVANT
Cocu optimiste 5 ou bon vivant est celui qui voit tout en beau, s'amuse des in-trigues de sa femme, boit à la santé des cocus et trouve à s'égayer là où d'autres s'arrachent 6 des poignées de cheveux : n'est-il pas le plus sage ?

23. – LE COCU CONVERTI OU RAVISÉ
Cocu converti ou ravisé est celui qui d'abord a fait vacarme et s'est habitué avec peine à la coëffure, mais qui est revenu à la raison et finit par plaisanter de la chose et se consoler avec les autres.

24. – LE COCU FÉDÉRAL OU COALISÉ
Cocu fédéral ou coalisé 7 est celui qui, voyant l'affaire inévitable, veut bien admettre un amant 8, mais de son choix ; puis on les voit coalisés, comme Pitt et Cobourg, pour cerner la femme et écarter de concert les poursuivants.

25. – LE COCU TRANSCENDANT
OU DE HAUTE VOLÉE
Cocu transcendant ou de haute volée est le plus habile homme de toute la confrérie : aussi est-il placé au centre. C'est celui qui, épousant une très belle femme, la produit avec éclat, mais sans la prodiguer, et qui, lorsqu'elle a excité la convoitise générale, la cède pour un coup de haute fortune, comme une grande place, une forte commandite, après quoi il peut faire trophée du co-cuage et dire : Ne l'est pas qui veut à ce prix là 1. Soyez-le comme moi et vous ferez les bons plaisants.

26. – LE COCU GRANDIOSE OU IMPASSIBLE
Cocu grandiose ou impassible 2 est celui qui 3 ne s'affecte ni ne plaisante du cocuage qu'il entrevoit, et conserve un calme parfait 4, sans descendre à aucune démarche qui prête au ridicule. Tels sont dans la classe opulente la plupart des époux mariés par 5 intérêt.

27. – LE COCU DÉSERTEUR OU SCISSIONNAIRE
Cocu déserteur ou scissionnaire est celui qui, ennuyé des amours du ménage, s'affiche pour renoncer à sa femme et dit, lorsqu'il voit un amant : « Quand il en aura autant joui que moi 6 il en sera bien las ».

28. – LE COCU DE L'ÉTRIER OU PRÊTE-NOM
Cocu de l'étrier ou prête-nom 1 est un homme de paille à qui l'on donne de l'avancement sous condition d'épouser la maîtresse d'un homme en place et adopter l'enfant. Un tel cocu épouse souvent la vache et le veau ; ses cornes lui mettent le pied à l'étrier, puisqu'elles lui valent un emploi, un avancement quelconque, etc ... 2

29. – LE COCU POUPONNÉ OU COMPENSÉ
Cocu pouponné ou compensé est celui qui se doute de quelque chose, mais qui est si bien caressé, choyé et bichonné par sa femme, que ses soupçons comme ses reproches expirent dès qu'elle lui passe la main sous le menton.

30. – LE COCU ENSORCELÉ OU À CATARACTE
Cocu ensorcelé ou à cataracte 3 est celui qu'une femme sait fasciner et en-dormir au point de lui faire croire les choses les plus absurdes ; il est le seul à ignorer maintes fredaines qui sont la fable du public et il verrait la belle en fla-grant délit qu'il n'en croirait pas ses propres yeux. Elle lui persuade que les bruits de sa galanterie sont répandus par des soupirants éconduits 4 ; il rit avec elle de leur prétendue disgrâce 5 et elle rit bien mieux avec eux de la crédulité du bonhomme.

31. – LE COCU GLANEUR OU BANAL
Cocu glaneur ou banal 6 est celui qui vient humblement prendre part au gâ-teau et courtise chaudement sa chère moitié pour obtenir d'elle ce qu'elle ac-corde à tant d'autres, après qui il vient modestement glaner...

Charles FOURIER

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