miércoles, 23 de febrero de 2011

L`éléphant de Henri IV



Henri IV croyait être le premier roi de France qui eût possédé un éléphant. Il n'avait point entendu parler de l'éléphant que le calife Haroûn ar-Rachîd envoya à Charlemagne en 802 et dont les annalistes contemporains ont soigneusement enregistré le nom, Abulabaz, et dont ils ont mentionné la mort comme un des événe-
ments importants de l'année 81 01. Il ignorait aussi que saint Louis avait offert un éléphant a Henri III, roi d'Angleterre, vers l'année 1255, c'est-à-dire immédiatement après le retour de la croisade. Mathieu de Paris, qui n'a point négligé d'enregistrer le fait dans sa Grande chronique, ajoute cette observation : « Nous ne croyons pas qu'on eût jamais vu d'éléphant en Angleterre, ni même en deçà des Alpes. Aussi les populations se pressaient-elles pour jouir d'un spectacle aussi nouveau. »

Sous le règne de Louis XIII, l'arrivée d'un éléphant en France était encore considérée comme un notable incident. Il en vint un à Paris dans le cours de l'année 1626. Peiresc, alors fixé dans la ville d'Aix, regretta vivement de ne pouvoir pas l'examiner. Le bruit de la mort de cet animal, qui s'était répandu pendant le mois de décembre, ne tarda pas à être démenti. Peiresc ne fut pas le dernier à se réjouir de cette bonne nouvelle. Il aurait voulu qu'on profitât de l'occasion pour peindre la bête, pour en étudier le naturel et surtout pour en faire l'anatomie, s'il venait à mourir en France. Il écrit à Dupuy, le 4 janvier 1627, pour lui dire qu'il avait « esté bien aise d'entendre que l'éléphant n'estoit pas « mort. Mais, ajoute-t-il, je le serois dadvantage si j'apprenois « que quelque brave peinctre entreprinst de le bien desseigner, et « que quelque grand naturaliste entreprinst de le voir et observer « souvent, et d'en descrire exactement le naturel, et surtout de « sçavoir s'il se vérifie qu'il entende si facilement comme on diet « le jargon de son interprète. M. Tavernier ledebvroit faire tail- « 1er en belle taille doulce, non seulement tout entier, mais les « principaulx membres à part, et, s'il se laissoit mourir, il méri- « teroit bien de passer par l'anatomie de quelques galants hommes « et bien curieux. »

Peiresc revient sur ce sujet dans une lettre du mois de février 1627, où il parle des études à faire pour contrôler les observations consignées dans le traité de Pierre Gilles, intitulé : Elephanti descriptio, et pour vérifier l'exactitude des peintures antiques sur lesquelles se voyaient des représentations d'éléphants.

J'ay escript à Lyon pour voir si cette édition ďElian s'y trouveroit, où est le traicté de l'éléphant de Gillius, que je n'ay poinct veu.. .

Si M. Rubens a trouvé à redire à la grandeur des oreilles dans les peintures ordinaires, ce ne sera pas sans en avoir luy-mesmes faict un dessein mieux proportionné pour ce regard. Je vouldrois bien que vous eussiez veu les portraicts qui ont esté tirez des peinctures antiques de Rome où sont représentez divers animaulx estranges, et entr'autres des éléphants, qui semblent avoir les oreilles beaucoup plus petites que ceux que Ton peinct aujourd'hui, que j'estime avoir esté fort exactement desseignez sur les animaulx mesmes en leur temps, et sont tirez de certaines grottes de bains qui estoient prez du Vivarium de Rome, où se gardoient toutes les bestes sauvages plus estranges. Ces peintures furent descouvertes l'an 4547 et imprimées en taille doulce, en trois grandes planches, qui se trouvent dans les recueils de ces grandes images des Antiquitez de Rome... Et serois bien aisé que, aprez avoir veu ces images, vous eussiez reveu l'éléphant vivant, pour voir si vous y trouveriez des actions et postures qui reviennent à celles des dictes peintures, et specialment pour l'es- lévement ou arrection des oreilles ou rabbaissement d'icelles et maniement des jambes...

Quelque temps après, en 1631, le même éléphant revint en France. Il était à peine débarqué à Toulon que Peiresc décida le maître de l'animal à lui faire une visite dont il profita pour examiner l'éléphant avec tout le soin et l'intérêt qu'on pouvait attendre d'un naturaliste aussi curieux et aussi perspicace.

Gassendi3 nous a conservé le souvenir des attentions dont l'éléphant fut l'objet pendant les journées qu'il passa à Belgencier. Nous possédons en outre la lettre adressée à Dupuy, dans laquelle Peiresc lui-même rend compte d'une partie des observations qu'il fit durant la trop courte visite de cet hôte extraordinaire. Il en examina particulièrement la mâchoire, ce qui l'amena à reconnaître la véritable origine ď une dent qui lui avait été envoyée d'Afrique et qu'on disait avoir été trouvée dans la sépulture du prétendu géant Theutobochus, aux environs de Tunis ou d'Utique.

Je ne sçay si je ne vous ay poinct mandé que j'eus la curiosité de voir cet éléphant que vous avez veu là (à Paris), quelques années y a, lequel on ramenoit d'Italie. Il vint passer par icy, où il fut troys jours, durant lesquels je consideray bien à mon aise et avec grand plaisir, ne rayant pas laissé eschapper de mes mains ou despaïser que je ne Гауе faict peser contre quelques six vingt boullets de canon. Il me cognoissoit desjà quasi comme son gouverneur, et je me lais- say porter jusques à ce poinct de curiosité, ou pour mieux dire de follie, que de luy mettre ma main dans la bouche et de luy manyer et empoigner une de ses dents maxillaires, pour en mieux reco- gnoistre la forme, et ne les ayant pas assez bien peu voir sans les toucher, à cause qu'en ouvrant la gueulle il les entrecouvroit avec sa langue. Or, ce fut pour vérifier, comme je fis, qu'elles estoient entièrement semblables de figure, bien que de moindre grandeur, avec la dent du prétendu géant de la coste de Thunis ou Utica...

Voilà une curieuse observation d'anatomie comparée, qui fait honneur à Peiresc et qui montre comment, au commencement du xviie siècle, des hommes éclairés savaient faire profiter la science des exhibitions d'animaux rares amenés en France par des bateleurs.

L. Delisle.

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