martes, 28 de septiembre de 2010

Je ne m`aime pas



Mon nom : Marcel. Je ne m’aime pas. Une fusée filait
en l’air pour devenir « une belle bleue », puis rien : c’est
moi. Fusée ratée, ma tâche dans la vie se résume à additionner
des chiffres. Entendons-nous. Je les additionne
d’une certaine manière : par colonnes, d’abord de haut en
bas, ensuite de gauche à droite, avec cette obligation que
mon total soit le même dans les deux sens. Sinon, je
recommence.

Ce n’est déjà pas si facile. Ainsi pour mon âge, si j’en
fais le compte de haut en bas, je veux dire comme tout le
monde, j’arrive à vingt-cinq ans. Mais si je pense à
certains faits, me voici à cinquante. Du moins, j’estime en
arriver à cinquante et alors c’est tout comme.
Vingt-cinq ou cinquante, je suis à l’hôpital, dans un de
ces isoloirs que l’on a l’obligeance d’appeler : un chalet.
Dire qu’à l’école, je ne comprenais pas ce que c’était
qu’un euphémisme ! Il y a peu d’heures, je gonflais mes
muscles pour détendre certains liens qui me sanglaient de
partout. Une camisole de force, oui. On m’en a débarrassé.
Elle attend sur une chaise, prête car on ne sait
jamais. Mon voisin de chalet est là aussi, oh ! par amitié
je n’en doute pas, mais également, si je m’en rapporte à
certains regards, parce qu’on ne sait jamais.

C’est lui qui m’a passé des cahiers, un crayon :
– Écris, Marcel. Cela te soulagera. Tu verras clair en toi.

Écrire ! Écrire quoi ? Parmi d’autres choses, j’en
abhorre deux : les clins d’oeil et, je m’en expliquerai bientôt,
certain mot. Ce mot, je vais l’écrire tout de suite :
NIAISERIE. Il m’est arrivé de décider un acte, mais un de
ces actes que l’on considère comme essentiels, et de le
voir tomber en morceaux, uniquement parce qu’ayant
ouvert un livre, NIAISERIE me sautait aux yeux, comme un
jugement et un sarcasme. Ce mot d’ailleurs m’obsède. Je
le vois imprimé, en lettres de plaques de rue, à tous les
coins de ma vie. Rien de fort, rien de grand, jamais la
belle bleue ! Raconter cela ?… Il est vrai qu’en se plaçant
à certains points de vue…

Alors écrire, soit. Mais pour qui ? Pas pour mes amis.
Je n’en ai plus, je n’en veux plus. Pour mes parents ? Je suis
bourré de secrets que je confierais à n’importe qui, sauf
précisément à mes parents. Pour les médecins ? Hum ! À
force d’en voir, ces Messieurs savent une fois pour toutes
ce qu’est la vérité : qu’elle est un bras, une glande, un
ulcère et pour le reste une bulle en l’air vers laquelle
chacun souffle une autre bulle. Écrire pour eux ! Je
deviendrais un cas.

Alors, si tout simplement j’écrivais pour n’importe
qui ? Ou pour moi. Comme en promenade quand on a
perdu sa canne, revenir en arrière, fouiller les buissons et,
de niaiseries en niaiseries, refaire ses pas, chercher.
Finissons-en d’abord avec la question qui m’a conduit
ici. Je ne suis pas fou. Les vrais fous qui sont ici, ragent et
se démènent en hurlant : « Je ne suis pas fou ! Je ne suis
pas fou ! » Moi, je le dis, je l’écris avec calme. Cette
phrase, si je ne me retenais, je l’écrirais mille fois, sur mes
murs, dans mes cahiers, et jusqu’à la dernière, ma main
resterait calme. Ce serait à tenter. Bien entendu, il y a
certaines choses. On n’a pas eu tort de m’envoyer ici.
Maman y a passé. Elle s’en est tirée. Pourquoi ne m’en
tirerais-je pas ?

Je me souviens d’un film. Dans la caverne du nain, le
jeune Siegfried s’est forgé une épée. Il la trouve belle, la
tend devant lui, jette en l’air une plume, la reçoit sur le
tranchant, et la plume continue de tomber, coupée tout
bonnement en deux. J’ai réfléchi à cette plume. Certains
esprits n’ont pas de fil. L’idée tombe dessus et s’accroche
bêtement, flocon de neige sur une branche. Sur d’autres,
l’idée se divise. Une idée tombait, en voici deux. Papa me
le reprochait à sa façon :

– Tu coupes les cheveux en quatre.

Plumes en deux, cheveux en quatre, on pense double,
on souffre en plus fin, même pour des niaiseries. Mais
est-on fou ?


André Baillon

ps à lire de préférence en écoutant un bon cru de la coldwave tel que
fall of saigon

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